Inflation au Maroc : Quels impacts sur les PME ?
Citation :
« Heureusement, les produits marocains continuent de se positionner favorablement par rapport à leurs concurrents régionaux et internationaux. […] Cependant, il est crucial que le gouvernement revoie sa stratégie et accorde une attention plus soutenue aux TPE-PME. Ces petites entreprises ont un énorme potentiel de croissance et de création d’emplois, et elles ont prouvé leur capacité à s’adapter et à innover. Abdellah El Fergui, président de la Confédération Marocaine de TPE-PME, présente un état des lieux préoccupant de la situation des PME au Maroc
Extrait d’une interview accordée à Maroc Diplomatique.
Introduction
Au cours des dernières décennies, l’économie mondiale a été marquée par une tendance désinflationniste, facilitée par une intégration commerciale croissante, une accélération des progrès technologiques et des politiques monétaires efficaces. Ensemble, ces facteurs ont contribué à maintenir la baisse générale de l’inflation.
Cependant, depuis 2021, les pressions inflationnistes se sont intensifiées. Cette évolution résulte de plusieurs facteurs, notamment les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales provoquées par la pandémie de COVID-19, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières due au conflit en Ukraine, ainsi que des déséquilibres entre l’offre et la demande dans divers secteurs économiques.
L’inflation représente un défi de taille pour les PME qui constituent l’épine dorsale de l’économie marocaine.
Ces structures économiques (PME), souvent caractérisées par des marges bénéficiaires réduites et une moindre capacité d’absorption des chocs économiques, se trouvent particulièrement fragilisées face à cette situation inflationniste. L’augmentation des coûts de production, en raison de la hausse des prix des matières premières, de l’énergie et du transport, grève leurs bénéfices et réduit leur compétitivité. De plus, le pouvoir d’achat de leurs clients étant affecté, les PME peinent à répercuter cette hausse des coûts sur leurs prix de vente, de peur de perdre leurs parts de marché.
Cette conjoncture économique difficile contraint les PME à revoir en profondeur leurs stratégies, cherchant à optimiser leurs processus, à diversifier leurs fournisseurs et à s’adapter en permanence aux fluctuations du marché. Certaines d’entre elles se voient même dans l’obligation de réduire leurs effectifs ou d’investir de manière plus mesurée, compromettant ainsi leurs perspectives de développement à moyen et long terme.
Face à cette situation, un soutien accru des pouvoirs publics et des institutions financières serait nécessaire pour aider ces entreprises à traverser cette période délicate.
Evolution de l’inflation : Rétrospective historique et comparaison internationale
Historiquement, le Maroc a connu un régime de faible inflation, et ce, dans un contexte plus large marqué par un mouvement désinflationniste à l’échelle mondiale. Plusieurs facteurs ont contribué à cette tendance baissière de l’inflation au Maroc.
Sur le plan macroéconomique, la persistance d’un niveau modéré de l’inflation avant la crise covid s’explique par plusieurs facteurs, tant internes qu’externes.
Tout d’abord, la prudence de la politique monétaire menée par Bank Al-Maghrib a permis de maintenir l’inflation à des niveaux relativement faibles et stables. Le régime de change fixe, consistant en l’ancrage du dirham à un panier de devises, a contribué à la modération de l’évolution des prix en ancrant l’inflation marocaine à celle de la zone euro, principal partenaire économique du Royaume, où l’inflation a oscillé autour de 1,3% au cours de la dernière décennie. Ce régime de change a ainsi permis de maîtriser les pressions inflationnistes en provenance des marchés internationaux. Par ailleurs, le démantèlement progressif des tarifs douaniers et la libéralisation des échanges commerciaux ont également joué un rôle important. En ouvrant davantage l’économie marocaine à la concurrence internationale, ces réformes ont contribué à modérer les prix à la consommation grâce à une plus grande offre et à une pression concurrentielle accrue sur les producteurs et les distributeurs.
De plus, la libéralisation des prix de certains produits et le développement de la grande distribution ont renforcé la concurrence sur les marchés, obligeant les acteurs à contenir leurs marges bénéficiaires et à répercuter plus lentement les hausses de coûts sur les prix finaux. Par ailleurs, l’ouverture progressive de l’économie marocaine et son intégration dans les chaînes de valeur mondiale ont également joué en faveur de la modération des prix. La libéralisation des échanges commerciaux, les investissements directs étrangers et l’amélioration de la productivité ont en effet contribué à contenir les pressions inflationnistes.
Enfin, le changement de la structure géographique des importations a joué un rôle essentiel dans l’évolution du commerce international du Maroc et a contribué à maintenir un niveau d’inflation modéré. En effet, la part croissante des importations en provenance de pays émergents à bas coûts de main-d’œuvre a constitué un facteur clé de cette dynamique. Parmi ces pays, la Chine occupe une place de premier plan. Alors qu’en 2000, les importations marocaines en provenance de Chine ne représentaient que 3 milliards de dirhams, celles-ci ont connu une véritable envolée au cours des deux décennies suivantes.
En 2019, elles atteignaient près de 50 milliards de dirhams, soit une multiplication par plus de 16 de leur valeur initiale. Cette forte progression a permis à la Chine de se hisser au rang de troisième fournisseur du Maroc, alors qu’elle n’occupait que la dixième position seulement dix ans auparavant.
Plus spécifiquement, au cours des quatre dernières décennies, l’inflation s’est repliée dans l’ensemble des pays, indépendamment de leur niveau de développement économique. Cependant, la baisse a été particulièrement marquée pour les économies à revenu intermédiaire, dont fait partie le Maroc. Ainsi, pour ce groupe de pays, le taux d’inflation moyen est passé de 9,7% entre 1990 et 1999 à 5,4% entre 2000 et 2009, puis à seulement 4,3% sur les dix dernières années. Cette performance relative du Maroc en matière de maîtrise de l’inflation témoigne de la solidité de ses fondamentaux macroéconomiques et de l’efficacité des politiques mises en œuvre par les autorités pour préserver la stabilité des prix, un élément essentiel pour soutenir la croissance économique et le pouvoir d’achat des ménages.
Le mouvement désinflationniste mondial
Depuis plusieurs années, l’économie mondiale a connu un mouvement désinflationniste marqué. Cette tendance désinflationniste mondiale aurait été favorisée par plusieurs facteurs interdépendants.
Tout d’abord, l’intégration commerciale croissante, avec le développement des chaînes de valeur mondiales, a joué un rôle majeur dans la baisse des prix. L’ouverture des échanges économiques internationaux a permis aux entreprises d’avoir accès à un plus grand nombre de fournisseurs et de sous-traitants à travers le monde. Cela a entraîné une augmentation substantielle de la concurrence et une recherche constante de réductions de coûts, notamment grâce à la délocalisation de la production vers des pays à bas coûts de main-d’œuvre. L’intensification de la concurrence internationale a ainsi profondément transformé les schémas de production et de distribution, favorisant l’émergence de véritables réseaux mondiaux d’approvisionnement et de fabrication. Les consommateurs ont ainsi pu bénéficier de prix plus abordables sur de nombreux produits, grâce à ces gains de productivité et d’efficacité.
De plus, l’accélération du progrès technologique a eu un impact significatif sur l’évolution des prix. En effet, les innovations technologiques ont permis d’améliorer les processus de production et de distribution, générant ainsi des gains de productivité qui se sont répercutés sur les prix. Par exemple, l’automatisation des chaînes de production a réduit les coûts de main-d’œuvre, tandis que les avancées logistiques ont optimisé les réseaux de transport et de stockage, diminuant les frais de livraison. De plus, les progrès dans les domaines tels que la robotique, l’intelligence artificielle et les technologies de l’information ont révolutionné de nombreux secteurs industriels. Cela a permis de développer des méthodes de fabrication plus efficientes, avec une meilleure gestion des stocks, une planification plus fine de la production et une réduction des gaspillages. Ces gains de productivité se sont traduits par une baisse progressive des prix pour les consommateurs, qui peuvent ainsi bénéficier d’un pouvoir d’achat accru.
L’adoption de cadres de politique monétaire plus efficaces a joué un rôle crucial dans la diminution durable de l’inflation observée ces dernières années. L’essor du régime de ciblage d’inflation, dans lequel les banques centrales s’engagent à maintenir l’inflation à un niveau cible, a été un élément clé de cette évolution favorable. Ce cadre a permis une meilleure maîtrise des anticipations inflationnistes des agents économiques, les obligeant à ajuster leurs comportements pour s’aligner sur l’objectif d’inflation fixé par les autorités monétaires. Cette stabilité monétaire a joué un rôle prépondérant dans l’ancrage des attentes des agents économiques, limitant ainsi les risques de spirale inflationniste.
L’interaction complexe de ces trois facteurs – l’intégration commerciale, le progrès technologique et l’amélioration des cadres de politique monétaire – a ainsi façonné ce mouvement désinflationniste à l’échelle mondiale.
Environnement international : accentuation des pressions inflationnistes depuis 2021
L’évolution récente de l’inflation révèle une accentuation marquée des pressions inflationnistes depuis la fin de l’année 2021. Ce phénomène témoigne d’une dynamique économique complexe qui nécessite une analyse approfondie des facteurs sous-jacents.
Les pressions inflationnistes ont connu une montée sensible à l’échelle mondiale au cours de la période récente, en particulier depuis la fin de l’année 2021. Selon les analyses du Fonds Monétaire International (FMI), l’inflation a notamment atteint un niveau de 8,6% aux États-Unis en mai 2022, soit le taux le plus élevé enregistré depuis décembre 1981. Dans la zone euro, l’inflation a également grimpé à 8,1% à la même période, le taux le plus haut depuis l’entrée en vigueur de la monnaie unique européenne en janvier 2002.
Cette accélération inattendue de l’inflation s’explique par un faisceau de facteurs, notamment les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales à la suite de la pandémie de COVID-19, la flambée des prix de l’énergie et des matières premières consécutive à la guerre en Ukraine, ainsi que les déséquilibres entre l’offre et la demande dans de nombreux secteurs économiques.
Cette évolution récente de l’inflation résulte de la conjonction de plusieurs facteurs complexes et interdépendants.
Du côté de la demande, la reprise graduelle de l’activité économique a été favorisée par l’assouplissement progressif des restrictions sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Cette reprise a été soutenue par des politiques budgétaires et monétaires d’une ampleur exceptionnelle dans de nombreux pays, avec des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises. La demande des consommateurs s’est ainsi renforcée, notamment dans certains secteurs comme l’automobile ou l’électronique, exerçant une pression à la hausse sur les prix.
Du côté de l’offre, la montée de l’inflation a été nettement accentuée par la hausse significative des cours des matières premières, en particulier des produits énergétiques comme le pétrole et le gaz, ainsi que des denrées alimentaires. Ces hausses s’expliquent par des facteurs géopolitiques, comme le conflit russo-ukrainien, mais aussi par des perturbations persistantes des chaînes mondiales d’approvisionnement et de production, liées notamment à la politique zéro-COVID de la Chine. À cela s’ajoute l’envolée du coût du transport, en particulier du fret maritime, qui a renchéri les coûts de nombreux biens importés.
Ces pressions inflationnistes ont ensuite été exacerbées par les tensions observées sur les marchés du travail dans de nombreux pays développés. La pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs a conduit à des hausses de salaires, que les entreprises ont dû répercuter sur leurs prix de vente pour préserver leurs marges bénéficiaires.
L’ensemble de ces facteurs, s’entrecroisant et se renforçant mutuellement, a ainsi contribué de manière significative à l’accélération de l’inflation dans de nombreuses économies à travers le monde.
Répercussions de la tendance inflationniste sur l’économie marocaine
Au Maroc, le taux d’inflation a connu une trajectoire ascendante soutenue, atteignant 6,6% en 2022. Il s’agit de son niveau le plus élevé depuis 1991, soit plus de 30 ans. Cette hausse du niveau général des prix touche l’ensemble de l’économie et pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages.
De plus, cette accélération de l’inflation concerne également sa composante sous-jacente, c’est-à-dire hors éléments les plus volatils comme l’énergie et l’alimentation. Cet indicateur, qui traduit mieux les tensions inflationnistes structurelles, poursuit son trend haussier depuis août 2021.
Selon les analyses de Bank Al Maghrib, près de 90% de cette hausse serait attribuable à des facteurs d’origine externe, tels que l’envolée des prix des matières premières, les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales ou encore les tensions géopolitiques. Cette situation économique complexe met à rude épreuve les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics, qui doivent mettre en place des mesures adaptées pour tenter de juguler cette tendance inflationniste et en limiter les effets néfastes sur l’activité et le niveau de vie de la population.
Résilience de l’économie marocaine malgré les pressions inflationnistes
Malgré les pressions inflationnistes auxquelles le Maroc a été confronté, son économie a fait preuve d’une remarquable résilience. Nous présentons ici certains indicateurs clés qui témoignent de cette capacité de rebond et d’adaptation du système économique marocain.
Les indicateurs de risque du Maroc sont une preuve de la confiance internationale envers ce pays. Le spread des obligations souveraines marocaines a considérablement diminué au cours des derniers trimestres, passant de 441 points de base en juillet 2022 à 186 points de base en moyenne au premier trimestre 2024, un niveau proche de la période prépandémique. Cette baisse a facilité l’accès du Maroc aux marchés financiers internationaux, comme en témoigne la forte souscription de ses récentes émissions obligataires, même en période d’incertitude économique mondiale, comme en mars 2023. La confiance des investisseurs internationaux envers l’économie marocaine a probablement été renforcée par d’importantes réserves de change. En février 2024, le Maroc faisait partie des économies de la région MENA ayant les plus grandes réserves officielles et a réussi à maintenir un taux de change stable sans intervention sur le marché des changes.
De plus, certaines industries à forte intensité capitalistique au Maroc se sont développées après la pandémie de COVID-19. Les exportations de matériel de transport et de produits électroniques ont fortement augmenté, passant de 31,8% à 38,6% des exportations totales. Cependant, les exportations de phosphates ont baissé en 2023 après une très bonne année 2022. Ces changements dans la composition des exportations suggèrent que l’économie marocaine devient plus complexe, ce qui peut être un moteur de développement à long terme. Toutefois, le caractère capitalistique de ces industries exportatrices pourrait expliquer la création d’emplois décevante dans l’économie marocaine.
Le déficit du compte courant du Maroc a diminué pour atteindre son plus bas niveau depuis 2007, ne représentant plus que 0,6% du PIB en 2023, contre 3,6% en 2022. Cette amélioration est principalement due à la dynamique des exportations et à la baisse de 20,4% des importations d’énergie. De plus, les transferts financiers des Marocains résidant à l’étranger ont pris une importance croissante, couvrant 93% du déficit commercial en 2022 contre 67% en 2019, portés par une augmentation de 74% des envois de fonds des expatriés depuis la pandémie, positionnant ainsi le Maroc parmi les plus grands bénéficiaires mondiaux et dépassant largement la tendance mondiale.
Le secteur public marocain, pour sa part, s’est significativement élargi après la pandémie, soutenant la demande globale. Entre 2019 et 2023, les dépenses de l’administration centrale ont augmenté de 16% en termes réels, contre une progression de 5,4% du PIB. La taille relative du Trésor est passée de 23,7% à 27,1% du PIB. L’investissement public a été particulièrement dynamique après 2021, notamment pour faire face à la sécheresse. Cependant, la formation brute de capital du secteur privé n’a que légèrement récupéré ses niveaux d’avant la pandémie, suggérant que la part du secteur privé dans l’investissement total a diminué ces dernières années, malgré les objectifs ambitieux du Nouveau Modèle de Développement.
Le Maroc a connu un processus de désinflation rapide, confirmant l’efficacité de la réponse prudente de Bank Al-Maghrib face à la récente flambée des prix. L’inflation a diminué de près de 10 points de pourcentage entre février 2023 et février 2024, d’abord impulsée par l’énergie et les denrées alimentaires, puis s’est généralisée, l’inflation sous-jacente passant de 8,5% à 2,4%. Cette baisse de l’inflation a été plus marquée au Maroc que dans la plupart des autres pays de la région MENA et plus rapide que dans les économies avancées, justifiant l’interruption du cycle de resserrement monétaire par la banque centrale. Ainsi, le taux directeur du Maroc est récemment redevenu positif en données annuelles.
Malgré que la situation économique globale, aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle nationale, se soit améliorée, les entreprises et les ménages restent sous pression. Le nombre d’insolvabilités d’entreprises est en hausse, indiquant que de plus en plus d’entreprises n’arrivent pas à absorber l’impact cumulé des chocs récents. De plus, l’inflation a réduit le revenu disponible réel des ménages.
Malgré des projections récentes, globalement positives des institutions mondiales comme le FMI, qui continuent d’annoncer un atterrissage en douceur de l’économie mondiale, il subsiste des sujets de préoccupation.
Selon les dernières perspectives de l’économie mondiale du FMI, la croissance mondiale devrait rester modérée en 2024 et 2025, avec un taux de croissance similaire à celui de 2023, autour de 3,2%. Cette résilience serait portée par la solidité des marchés du travail, la hausse des salaires réels et la baisse attendue de l’inflation et des taux d’intérêt.
Néanmoins, le FMI souligne que le mouvement de retour de l’inflation à son niveau cible semble s’être interrompu depuis le début de l’année 2024, ce qui est quelque peu préoccupant. Bien qu’il puisse s’agir d’un revers temporaire, la vigilance reste de mise selon l’institution. Les progrès réalisés jusque-là sont en grande partie imputables à la baisse des prix de l’énergie et de l’inflation des biens, mais ce fragile équilibre pourrait être remis en cause.
Par ailleurs, les séquelles économiques des crises traversées ces quatre dernières années devraient continuer à se faire sentir. Malgré ces signes encourageants, les économies mondiale et nationales restent fragilisées et vulnérables à de nouvelles perturbations. Les décideurs politiques devront donc demeurer vigilants et prêts à ajuster leurs mesures de soutien et de relance si nécessaire, afin de consolider la reprise en cours et d’éviter un nouvel épisode de turbulences économiques.
Effets des pressions inflationnistes sur les PME marocaines
Malgré l’amélioration de la conjoncture économique dans sa globalité, plusieurs indicateurs montrent que les entreprises marocaines notamment les PME restent sous pression. Une inquiétante tendance se dessine : le nombre de liquidations d’entreprises connaît une hausse significative ces dernières années.
Le dernier rapport annuel de l’Observatoire Marocain de la Très Petite, Petite et Moyenne Entreprise (OMTPME) révèle que le nombre d’entreprises passant par un processus formel de dissolution a augmenté de 8,5% en 2021 et de 28% en 2022 par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Cette tendance s’est malheureusement poursuivie tout au long de l’année 2023, faisant du Maroc l’un des pays enregistrant la plus forte accélération des liquidations d’entreprises selon le rapport d’Allianz Trade sur l’insolvabilité dans le monde (Allianz Trade, 2024).
Plusieurs facteurs semblent expliquer cette situation préoccupante. Tout d’abord, le ralentissement récent du crédit au secteur privé en 2023, alors que le crédit au secteur public connaissait une forte expansion, pourrait avoir contribué à cette tendance. Plus particulièrement, les prêts à court terme sont brusquement passés de taux de croissance à deux chiffres à une contraction prononcée, fragilisant davantage la trésorerie et la capacité d’investissement des entreprises.
Par ailleurs, la conjoncture économique mondiale, encore marquée par des incertitudes et des tensions, a contribué à la fragilisation de certains secteurs d’activité particulièrement exposés aux fluctuations de la demande et de l’environnement international. La hausse des coûts de production, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les difficultés d’accès au financement ont aussi pu contribuer à cette vague de liquidations.
Malheureusement, les mesures prises par les autorités gouvernementales et monétaires n’ont pas été suffisantes pour combler complètement ces manques de trésorerie.
Bien que différents programmes de soutien financier ont été mis en place, tels que les prêts garantis, les reports de paiements et les aides directes, de nombreuses entités continuent de faire face à des difficultés de trésorerie importantes, fragilisant ainsi leur viabilité à court et moyen terme. Cette situation a un impact négatif sur l’activité économique et l’emploi, nécessitant des efforts supplémentaires des pouvoirs publics pour renforcer les mécanismes de soutien et favoriser la reprise.
Afin de comprendre l’effet de l’inflation sur les tendances de croissance des PME marocaines, il est essentiel d’examiner en détail la dynamique du secteur privé.
La structure entrepreneuriale au Maroc est largement dominée par des entreprises de petite taille. En 2019, les micro-entreprises, dont le chiffre d’affaires est compris entre 0 et 1 million de dirhams, représentaient près de 85% de l’ensemble des entreprises marocaines. Ce segment est suivi par les petites entreprises, qui génèrent entre 1 et 3 millions de dirhams, représentant 7,5% du total.
À l’opposé, les moyennes et grandes entreprises ne représentent respectivement que 0,6% et 0,3% du tissu entrepreneurial national. Cette prédominance des micros et petites entreprises s’explique notamment par les défis de développement et de croissance auxquels elles sont confrontées. En effet, plus de 80% des entreprises emploient moins de 10 personnes, et ce, même après 10 années d’activité. Cette structure économique témoigne des difficultés rencontrées par les entreprises marocaines pour passer un cap de développement et atteindre une taille critique leur permettant de gagner en compétitivité, d’investir dans l’innovation et de s’ouvrir davantage sur les marchés extérieurs.
De surcroit, la densité des entreprises formelles a considérablement augmenté au Maroc ces dernières années, mais cette évolution doit être nuancée et analysée en profondeur. Bien que le nombre de sociétés à responsabilité limitée pour mille habitants ait quadruplé depuis 2006 pour atteindre 21,8, ce chiffre reste nettement inférieur à celui des économies avancées comme l’Espagne (88) ou le Portugal (103). Cette augmentation de la densité d’entreprises s’explique par deux facteurs principaux : d’un côté, le dynamisme entrepreneurial avec un nombre élevé de nouvelles entreprises créées chaque année, et de l’autre, un taux de sortie de jure (c’est-à-dire de dissolution officielle) étonnamment faible.
Il importe également de noter que le secteur privé marocain se caractérise par une prolifération inquiétante d’entreprises inactives. En 2019, avant la pandémie de COVID-19, près de 8% des entreprises formelles constituées en société et actives en 2018 avaient cessé de fonctionner sans avoir officiellement mis fin à leur activité. Ce taux de sortie de facto élevé soulève des interrogations sur la solidité et la viabilité réelle d’une partie du tissu entrepreneurial marocain.
En parallèle, les récentes performances du secteur privé formel en matière de productivité ont connu une stagnation, en raison d’une détérioration de l’efficience allocative. Entre 2016 et 2019, la productivité du travail dans le secteur des entreprises n’a augmenté que de 2,2%, soit une progression plus faible que celle observée dans le reste de l’économie, qui a enregistré une hausse de 5% sur la même période. Cette croissance modérée de la productivité pourrait en partie s’expliquer par l’expansion progressive du secteur formel, rendue possible par la formalisation progressive d’entreprises moins productives. Bien que le secteur informel emploie près de 77% de la population active et représente un tiers du PIB et que près de la moitié des entreprises marocaines font face à cette concurrence informelle, qui limite leur potentiel de croissance, la formalisation des entrepreneurs informels de subsistance pourrait avoir moins d’impact sur la productivité.
En effet, la croissance globale de la productivité peut se décomposer en deux éléments clés :
- Une composante « intra-entreprise », qui mesure si les entreprises formelles utilisent plus efficacement les facteurs de production en moyenne.
- Une composante « inter-entreprises », qui évalue si la main-d’œuvre est réaffectée au profit d’entreprises plus productives.
Or, la faible progression de la productivité du travail dans le secteur formel suggère que ces deux éléments ont connu des évolutions mitigées. D’un côté, les entreprises formelles n’ont pas réussi à accroître significativement l’utilisation efficace de leurs facteurs de production. De l’autre, les mécanismes de réallocation de la main-d’œuvre au profit des entreprises les plus performantes n’ont pas fonctionné de manière optimale.
En 2022, l’inflation était principalement causée par des chocs externes, notamment la flambée des prix à l’importation qui a augmenté les coûts de production et de distribution.
Cette hausse des coûts à l’importation a été particulièrement marquée pour certaines matières premières essentielles comme le pétrole, le gaz naturel ou les métaux, subissant les conséquences des troubles géopolitiques et des perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales. De plus, les effets des chocs climatiques, notamment les sécheresses qui ont affecté la production agricole nationale, ont provoqué des hausses momentanées des prix de certains produits, comme les fruits et légumes.
Cependant, en 2023, malgré un apaisement des tensions inflationnistes sur le plan international, (l’inflation importée, qui avait initialement contribué à la hausse des prix en 2022, a nettement diminué, particulièrement dans les secteurs des carburants et de l’alimentation), le Conseil de la Concurrence a révélé, dans son rapport annuel 2023, que certaines entreprises ont continué à augmenter leurs prix. Le rapport note que ces hausses ne sont pas justifiées par des fluctuations importantes des prix des matières premières ou des importations mais qu’il s’agissait d’un comportement de « cupidflation », qui fait référence à la capacité des entreprises d’accroître leurs profits sans que leurs coûts de production n’aient augmenté, en profitant de la hausse générale des prix.
Selon le conseil de la concurrence, au-delà de ces fluctuations liées à des contraintes de l’offre, ce sont les comportements de certaines entreprises dotées d’un pouvoir de marché qui posent problème. Elles ont utilisé l’inflation comme prétexte pour augmenter leurs marges de manière disproportionnée, contribuant ainsi à une hausse des prix indépendamment des coûts réels. Le Conseil de la Concurrence souligne que ces pratiques, visant à tirer parti de la conjoncture inflationniste, constituent un abus de position dominante et nuisent gravement au pouvoir d’achat des consommateurs. Il appelle à une surveillance renforcée des secteurs les plus concentrés afin de s’assurer que la transmission de la baisse des coûts se fasse bien au bénéfice des consommateurs.
Autres pratiques exacerbant les pressions inflationnistes
Le Conseil de la Concurrence a également relevé d’autres pratiques à la limite de la légalité, qui exacerbent les pressions sur les consommateurs.
Parmi elles, la « shrinkflation » une pratique particulièrement problématique. Elle consiste à réduire discrètement la quantité de produits sans pour autant modifier leur prix de vente. Ainsi, le consommateur paye le même prix pour une quantité moindre, sans qu’il en soit toujours informé. Cette pratique permet aux entreprises de dissimuler une forme d’inflation et de faire supporter aux consommateurs une partie des coûts auxquels elles sont confrontées.
Un autre phénomène inquiétant est la « cheapflation », qui se traduit par une dégradation de la qualité des produits sans baisse correspondante des prix. Les entreprises peuvent choisir de réduire les coûts de production en utilisant des ingrédients moins coûteux ou en diminuant les standards de qualité, tout en maintenant des prix élevés. Cela a pour effet de tromper le consommateur qui pense acheter un produit de qualité alors qu’il obtient un article dégradé.
Ces pratiques sont particulièrement visibles dans les secteurs de l’agroalimentaire, où les consommateurs paient plus pour des produits moins abondants ou de qualité inférieure. Face à la flambée des coûts de production, les entreprises cherchent à préserver leurs marges bénéficiaires au détriment de la qualité, ce qui porte atteinte au pouvoir d’achat et à la confiance des consommateurs. Le Conseil de la Concurrence encourage donc une plus grande transparence et des pratiques commerciales plus éthiques afin de protéger les intérêts des consommateurs.
La nécessité de faciliter l’entrée de nouveaux acteurs (PME) sur le marché
Afin de faire face particulièrement à la cupidflation, il est essentiel de faciliter l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, notamment les petites et moyennes entreprises (PME). Dans certains secteurs dominés par quelques grandes entreprises, ces dernières disposent souvent d’un pouvoir de marché suffisant pour imposer des hausses de prix injustifiées aux consommateurs. En effet, la concentration du marché entre les mains de quelques acteurs majeurs peut entraîner des situations de quasi-monopole, où ces entreprises n’ont que peu d’incitations à maintenir des prix compétitifs. Pour remédier à cette situation, il est primordial d’encourager une plus grande diversité d’acteurs économiques. Cela permettrait de stimuler la concurrence, en obligeant les entreprises dominantes à se remettre en question et à être plus attentives à la satisfaction de leurs clients. Une plus grande diversité d’offres et d’innovations sur le marché serait également bénéfique pour les consommateurs, qui auraient alors accès à une plus large gamme de produits et services à des prix plus abordables. De plus, faciliter l’entrée de nouvelles PME contribuerait à dynamiser l’économie locale et à créer de l’emploi sur les territoires. Ces entreprises de taille intermédiaire sont souvent plus agiles et réactives que les grands groupes, ce qui leur permet de s’adapter plus rapidement aux évolutions du marché et aux attentes des consommateurs. Elles peuvent ainsi représenter une alternative crédible aux acteurs historiques dominants. Afin de favoriser cette diversification du tissu entrepreneurial, les pouvoirs publics pourraient mettre en place des mesures de soutien spécifiques, comme des allègements fiscaux, un accès facilité aux financements ou encore des programmes d’accompagnement à l’innovation et à l’internationalisation. En stimulant l’émergence de nouveaux acteurs économiques, il sera alors possible de réduire efficacement les abus liés à la cupidflation.
Conclusion
Mesures de soutien des PME prévues par le PLF 2025
En ligne avec le mouvement désinflationniste mondial, le Maroc a réussi à maintenir une inflation modérée grâce à la politique monétaire prudente de Bank Al-Maghrib, à la libéralisation de certains prix, au développement de la grande distribution et à la diversification géographique des importations. Ces initiatives ont stimulé la concurrence et contribué à maîtriser les pressions inflationnistes. Toutefois, la pandémie de COVID-19 et le conflit en Ukraine ont perturbé cette stabilité. Malgré ces défis, l’économie marocaine a fait preuve de résilience, avec une réduction significative du déficit du compte courant et une baisse rapide de l’inflation, passant de 8,5 % à 2,4 % entre février 2023 et février 2024.
Cette résilience reflète une réponse efficace et adaptée aux fluctuations économiques mondiales. Toutefois, les PME ressentent de manière aiguë les effets de l’inflation. L’augmentation des coûts des matières premières et des charges opérationnelles les place dans une situation délicate, où leurs marges bénéficiaires s’érodent face à la montée des prix, tandis que leur capacité d’ajuster leurs propres prix reste limitée par la sensibilité des consommateurs et la concurrence. Les pratiques telles que la « cupidflation », la « shrinkflation » et la « cheapflation » souvent pratiquées par les grandes entreprises les exposent davantage, réduisant leur compétitivité et entraînant des hausses de prix injustifiées pour les consommateurs.
Face à ces enjeux, il devient crucial de diversifier davantage les acteurs économiques en facilitant l’entrée de nouvelles PME. Cela permettra de renforcer la concurrence, de dynamiser l’économie locale tout en stimulant la création d’emplois.
Des mesures ciblées, comme des allègements fiscaux substantiels, un meilleur accès au financement bancaire et à l’investissement, ainsi que des programmes d’accompagnement spécifiques à l’innovation et à l’internationalisation des PME, pourraient soutenir efficacement ce dynamisme entrepreneurial. Le projet de loi de finances 2025 s’inscrit dans cette même logique visant à stimuler l’activité économique et l’emploi. Il a pour but ambitieux de réduire le déficit budgétaire à environ 4,5% du PIB, en améliorant significativement la gestion des dépenses publiques et en révisant en profondeur certains régimes de subventions. Le projet prévoit notamment une baisse substantielle du taux d’imposition sur les bénéfices des PME, de 30% à seulement 20%, afin de dynamiser leurs investissements, d’encourager davantage l’entrepreneuriat et de favoriser la création d’emplois qualifiés sur l’ensemble du territoire. Parallèlement, le projet vise également à élargir significativement l’assiette fiscale en incitant fortement les entreprises de l’économie informelle à se formaliser, notamment à travers la mise en place d’exonérations fiscales temporaires attractives pour celles qui accepteraient de se régulariser.