Le programme d’amnistie fiscale et la régularisation du cash non déclaré : Quelles retombées sur l’économie marocaine ?
Citation :
« Cette initiative mise en place par le gouvernement a permis d’obtenir des résultats remarquables dépassant largement les attentes initiales. Ainsi, le bilan de cette opération a conduit à la déclaration de plus de 127 milliards de dirhams, reflétant le succès de cette démarche dans la réalisation des objectifs fixés » déclaration du porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, lors d’un point de presse tenu le jeudi 9 janvier 2025.
Introduction
Dans un contexte de forte circulation monétaire au Maroc, les données de Bank Al-Maghrib révèlent que le volume global des liquidités a atteint plus de 414 milliards de dirhams à la fin du mois de décembre 2024 (figure 1). Cette masse monétaire considérable témoigne de la vitalité économique du pays, mais soulève également des défis majeurs en termes de gouvernance et de surveillance. En effet, la prédominance croissante de l’économie informelle au Maroc, conjuguée aux risques élevés de blanchiment d’argent et de fraude, constitue des enjeux substantiels pour les autorités.
Le programme d’amnistie fiscale de 2024, portant sur la déclaration volontaire des actifs détenus au Maroc et à l’étranger, s’est inscrit dans le cadre d’un ensemble de réformes économiques et de gouvernance, dans le but d’améliorer la transparence et la régulation du système financier marocain. Sa mise en œuvre a été motivée par les besoins urgents de financement auxquels le gouvernement est confronté, notamment pour assurer le soutien de secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation et le domaine social.
D’une part, le programme d’amnistie fiscale concernant lesliquidités et les actifs non déclarés au Maroc, institué par la loide finances de 2020 et consolidé par celle de 2024, a offertaux contribuables une opportunité exceptionnelle de régulariserleur situation fiscale. Ce dispositif exceptionnel a permis auxpersonnes physiques et morales de profiter d’un taux d’impositionparticulièrement avantageux de seulement 5 % sur les liquiditéset les actifs non déclarés. Cela leur a permis de se conformer àla réglementation fiscale en vigueur, tout en évitant les sanctionset pénalités considérables auxquelles ils s’exposaient en cas devérification fiscale. L’objectif était d’encourager les contribuablesà réintégrer le circuit économique officiel, tout en augmentant lesrecettes fiscales de l’État.
D’autre part, le programme d’amnistie a également concerné les avoirs détenus à l’étranger par les personnes physiques et morales établies au Maroc, possédant une résidence fiscale, un siège social ou un domicile fiscal sur le territoire marocain et ayant constitué des actifs et liquidités à l’étranger avant le 1er janvier 2023, en infraction avec la réglementation relative aux changes. Les personnes concernées étaient tenues de déclarer les biens et avoirs financiers détenus à l’étranger, de transférer lesdits avoirs en devises vers le territoire national et de verser une contribution forfaitaire établie selon un barème de 10 %, 5 % ou 2 %, déterminé en fonction de leur situation particulière.
Au-delà de sa dimension fiscale, cette procédure de régularisation volontaire visait un objectif plus large, à savoir le rétablissement de la confiance entre les citoyens et l’administration marocaine.
En outre, ce programme avait pour ambition de favoriser l’intégration de l’économie informelle, qui représente une proportion significative de l’activité économique au Maroc, échappant ainsi à la déclaration et à l’imposition, dans le secteur formel. D’après une étude conjointe de la Banque Mondiale (BM) et de l’Observatoire Marocain de la TPME (OMTPME), le secteur informel représente entre 28,4 % et 33,1 % du PIB et mobilise plus de 77 % de la population active marocaine. Le programme visait donc à inciter les entreprises et les travailleurs opérant dans l’économie parallèle à se conformer aux dispositions juridiques et réglementaires en vigueur.
Impacts du programme sur l’économie marocaine
Bien que la mesure d’amnistie fiscale de 2024 ne constitue pas la première opération de régularisation volontaire mise en place au Maroc, ayant été précédée par deux initiatives analogues, elle demeure la plus fructueuse en termes de retombées sur le budget de l’État.
La première de ces opérations a été initiée il y a une décennie par le gouvernement dirigé par Abdelilah Benkirane, sous l’égide de Mohamed Boussaïd, alors ministre des Finances. Cette initiative d’amnistie fiscale visait principalement les citoyens marocains possédant des biens non déclarés à l’étranger.
L’objectif consistait à régulariser leur situation fiscale en contrepartie d’une contribution libératoire représentant entre 2 % et 5 % de la valeur desdits biens. Cette mesure a permis la déclaration de 27,8 milliards de dirhams d’actifs détenus hors du territoire national, dépassant de manière significative l’objectif initial de 5 milliards de dirhams fixé par les autorités compétentes. La répartition de ces fonds s’est effectuée comme suit : un tiers sous forme de liquidités et les deux tiers restants en actifs immobiliers et financiers.
Une seconde amnistie fut instaurée par la loi de finances de 2020, sous l’égide du gouvernement El Othmani, avec Mohamed Benchaâboun assumant la fonction de ministre des Finances. Cette mesure visait les avoirs liquides non déclarés aux administrations fiscales et a permis la déclaration de 4,8 milliards de dirhams, engendrant ainsi un revenu de 240 millions de dirhams pour le Trésor Public.
Renforcement des ressources budgétaires de l’État
L’implémentation de politiques fiscales plus rigoureuses, conjuguée à une optimisation du recouvrement de l’impôt, a permis à l’État marocain d’accroître ses recettes fiscales. Dans le cadre de la procédure de régularisation volontaire de la situation fiscale, instituée par la Loi de Finances 2024, le montant global des déclarations s’est élevé à 127 milliards de dirhams, comprenant 125 milliards de dirhams de liquidités déclarées et 2 milliards de dirhams d’actifs détenus à l’étranger.
Selon le communiqué de presse de l’Office des Changes du 7 janvier 2025, l’Opération de Régularisation Spontanée (ORS) au titre des avoirs et liquidités détenus à l’étranger a abouti à la déclaration de plus de 2 milliards de dirhams répartis sur 658 déclarations. Les actifs financiers ont représenté la composante essentielle des avoirs déclarés avec 916,2 millions de dirhams, soit 45% du montant total, suivis des biens immobiliers avec un montant de 868,3 millions de dirhams soit 43% du total.
Viennent, en dernier rang, les avoirs liquides avec une valeur de 244,7 millions de dirhams représentant 12% du montant total déclaré. Le montant versé au Trésor au titre de la contribution libératoire s’est donc élevé à 231,76 millions de dirhams.
S’agissant de l’évolution des recettes fiscales en 2024 comparativement à 2023, le Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre, en charge des relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement marocain, a signalé une augmentation de 12 milliards de dirhams pour la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), se décomposant en 6 milliards de dirhams pour la TVA à l’importation et 6 milliards de dirhams pour la TVA intérieure.
De plus, l’Impôt sur le Revenu (IR) a progressé de 9 milliards de dirhams, l’Impôt sur les Sociétés (IS) de 8 milliards de dirhams, la Taxe Intérieure de Consommation de 3,7 milliards de dirhams, les Droits d’Immatriculation de 1,5 milliard de dirhams et les Droits de Douane de 1,4 milliard de dirhams.
En parallèle, les revenus fiscaux ordinaires, évalués à 35,9 milliards de dirhams, ont également permis de couvrir les dépenses supplémentaires engagées en 2024.
Ces ressources ont joué un rôle clé dans la réponse aux besoins sociaux croissants et le maintien de l’équilibre budgétaire face aux défis économiques.
Les répercussions du programme d’amnistie sur le bilan des banques marocaines
La mise en œuvre du programme d’amnistie fiscale a indéniablement généré une augmentation notable des dépôts bancaires, un élément essentiel à la solidité du système financier. De manière plus précise, cette injection de fonds dans les banques marocaines a généré un cercle vertueux. Premièrement, elle a significativement amélioré la liquidité des banques. Selon les données de la Situation des Charges et Ressources du Trésor (SCRT) au titre du mois de janvier 2025, l’amnistie sur les liquidités a spécifiquement entraîné une injection notable de 77 milliards de dirhams (des 125 MM.DH de déclarations au titre des revenus et bénéfices imposables au Maroc) dans le système bancaire marocain, un chiffre qui témoigne de l’ampleur de son impact. À court terme, cette injection massive de liquidités a contribué à apaiser les tensions de trésorerie qui affectaient certaines banques. Il est important de noter que les banques marocaines étaient confrontées à un défi particulier : l’effet d’éviction causé par les taux d’intérêt compétitifs proposés sur le marché boursier. Les investisseurs, attirés par des rendements plus élevés, étaient susceptibles de retirer des fonds des banques pour les investir en bourse. L’amnistie a permis de compenser cet effet, en apportant un nouvel afflux de liquidités qui a contrebalancé les retraits potentiels.
Cette injection de capitaux a également permis de diminuer les pressions sur le marché interbancaire dès la première semaine de janvier 2025. En conséquence, Bank Al-Maghrib a réduit ses interventions hebdomadaires, les faisant passer de 156 milliards à 144 milliards de dirhams. De plus, les avances à 7 jours, un indicateur important de la liquidité bancaire, ont aussi baissé, passant de 60 à 53 milliards de dirhams. D’après les données de Bank Al Maghrib, le besoin de liquidité bancaire, principalement influencé par l’augmentation de la monnaie fiduciaire, devrait continuer de croître pour atteindre 192,3 milliards de dirhams en 2026.
En outre, grâce à une augmentation du volume des dépôts, les institutions bancaires seraient en mesure d’accroître leur capacité de prêt. Ceci leur permettrait de financer plus aisément les projets d’investissement, d’apporter un soutien aux entreprises en activité et d’accorder des crédits aux particuliers. Compte tenu de l’évolution attendue de l’activité économique et des prévisions du système bancaire, il est anticipé que le taux de croissance du crédit accordé au secteur non financier connaîtra une accélération progressive, passant de 3,8 % en 2024 à 5,5 % en 2026.
Deuxièmement, la collecte de ces nouveaux fonds a un impact direct sur la santé financière des banques. L’augmentation des actifs disponibles améliore leurs ratios de solvabilité. Un ratio de solvabilité plus élevé signifie que les banques sont mieux équipées pour faire face à des périodes de crise ou à des pertes potentielles, renforçant ainsi leur stabilité et leur crédibilité aux yeux des investisseurs et des déposants.
Lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent
Malgré l’évolution de la réglementation régissant la lutte contre la fraude fiscale au Maroc, l’absence d’un cadre juridique exhaustif et d’une réglementation claire sur la coordination des procédures fiscales et pénales accentue la complexité de la fraude, notamment dans le secteur informel et rend les sanctions parfois insuffisantes ou ambiguës.
En 2013, lors des Assises sur la fiscalité, des économistes et des professionnels ont formulé des recommandations pour améliorer l’équité du système fiscal, renforcer la compétitivité des entreprises et encourager le civisme fiscal.
Depuis, les lois de finances ont progressivement mis en œuvre ces nouvelles mesures. Malgré ces réformes, le manque de civisme fiscal et le refus de l’imposition restent des problèmes récurrents, d’autant plus que le système repose principalement sur la déclaration volontaire.
Quelques années plus tard, la loi-cadre n° 69-19 relative à la réforme fiscale, élaborée conformément aux instructions royales, sur la base du rapport de la commission spéciale sur le modèle de développement et adoptée par le Parlement le 13 juillet 2021, a marqué le début d’une nouvelle ère fiscale au Maroc, visant à instaurer un système fiscal efficace, équitable et équilibré, capable de mobiliser pleinement les ressources fiscales pour financer les politiques publiques, stimuler le développement économique et promouvoir l’inclusion et la cohésion sociale, en élargissant la base imposable et en renforçant les moyens de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale au travers de mécanismes de contrôle renforcés.
Les opérations de contrôle actuelles reposent sur une méthodologie plus élaborée, intégrant des technologies d’exploration de données (data mining), des recoupements d’informations bancaires et des investigations sur le terrain.
Les autorités fiscales marocaines s’appuient désormais sur des technologies de pointe, y compris l’imagerie satellitaire, afin de repérer et d’identifier les sociétés fictives. Cette stratégie a pour but d’optimiser le recouvrement de l’impôt en comparant les activités réelles des entreprises à celles qui sont officiellement déclarées.
Malgré l’existence de dispositifs établis, certains acteurs remettent encore en cause le caractère réglementaire du système de sanctions fiscales au Maroc. Cette situation peut être attribuée à la complexité croissante de la fraude fiscale, notamment avec l’expansion du secteur de l’informel.
Amélioration de l’image et de la confiance envers le Maroc
La mise en œuvre réussie du programme de déclaration spontanée du cash au Maroc pourrait avoir des retombées positives sur l’image internationale du pays. En effet, la capacité du Maroc à mettre en place des réformes ambitieuses en matière de fiscalité et de transparence financière pourrait contribuer à le positionner comme une destination attractive pour les investissements étrangers. Cela pourrait également favoriser une meilleure compréhension et une plus grande confiance des partenaires internationaux envers le système économique et financier marocain.
Par ailleurs, cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à lutter contre l’économie parallèle et à encourager l’intégration du secteur informel dans le circuit économique formel. En offrant cette possibilité de régularisation, les autorités marocaines démontrent leur engagement à instaurer un environnement fiscal plus juste et équitable, renforçant ainsi la confiance des citoyens envers les institutions étatiques.
Il est à noter qu’en 2023, la Banque Mondiale a publié une étude approfondie sur la confiance de la population marocaine, basée sur une enquête téléphonique menée auprès d’environ 6 000 répondants, rendant les données disponibles au grand public.
Principaux constats de cette analyse :
- Premièrement, les niveaux de confiance varient considérablement d’un individu à l’autre. Les hommes et les personnes âgées semblent plus enclins à faire confiance aux institutions que les femmes et les jeunes citoyens. De même, les individus issus de ménages à faible et à haut revenus expriment une plus grande confiance dans les institutions que ceux appartenant à la catégorie des revenus moyens.
- Deuxièmement, les institutions chargées du maintien de l’ordre public ( justice, police, armée) jouissent d’un niveau de confiance supérieur à celles exerçant un pouvoir exécutif ou législatif.
- Troisièmement, la confiance est corrélée avec les niveaux d’optimisme des citoyens. Les individus ayant une plus grande confiance dans le gouvernement sont plus enclins à percevoir qu’ils jouissent d’une plus grande liberté d’un contrôle de leur propre vie, et que leur pays et la société peuvent évoluer grâce à leurs choix et actions individuels.
Il convient de prendre en considération les résultats de cette étude et d’en déduire les conclusions pertinentes qui s’imposent en matière d’administration fiscale. Ces conclusions devront non seulement refléter fidèlement les constats de l’étude, mais également servir de base solide pour formuler des recommandations concrètes et efficaces visant à améliorer le fonctionnement, l’équité et la transparence du système fiscal dans son ensemble.
Défis et Perspectives
Le contrôle fiscal au Maroc se trouve à un carrefour critique, nécessitant une évolution profonde pour répondre aux défis croissants posés par une économie en mutation et une complexité fiscale grandissante.
Dans le sillage de la loi de finances 2025, un besoin impérieux de renforcer l’efficacité du contrôle fiscal s’est imposé, non seulement pour garantir une collecte optimale des recettes publiques, mais aussi pour assurer une équité fiscale et une concurrence loyale entre les acteurs économiques. Cette nécessité est d’autant plus pressante que les enjeux de digitalisation et de mondialisation accentuent la complexité des transactions, rendant indispensable une amélioration significative de la traçabilité de ces dernières. L’objectif ultime est de moderniser l’arsenal du contrôle fiscal marocain, en le rendant plus pertinent, plus réactif et mieux adapté aux réalités contemporaines, afin de soutenir durablement le développement économique et social du Royaume.
Nécessité d’un contrôle fiscal renforcé (loi de finances 2025)
Selon les données récentes émanant du ministère des Finances, les recettes fiscales ont connu une augmentation notable entre 2021 et 2023, affichant une progression moyenne de 9,8%. Ce taux est particulièrement significatif lorsqu’il est mis en perspective avec la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) sur la même période, qui n’a pas dépassé une moyenne de 4,3%. Cette divergence substantielle soulève des questions quant aux facteurs contribuant à cette forte croissance des recettes fiscales, et aux potentielles tensions qu’elle pourrait engendrer entre l’administration fiscale et les contribuables.
De leur part, les données de la Direction Générale des Impôts (DGI) montrent que l’année 2023 a vu les recettes fiscales nettes atteindre 190,67 milliards de dirhams. Une part non négligeable de ce montant, précisément 5,8 milliards de dirhams, a été générée par les opérations de contrôle sur place menées par les services fiscaux. Ce chiffre met en évidence l’efficacité croissante de ces contrôles et leur contribution significative à l’augmentation des recettes.
Exemples concrets de ces opérations :
Vérification des déclarations de TVA auprès des entreprises, contrôle des revenus fonciers non déclarés, ou encore audits approfondis sur les sociétés soupçonnées de pratiques d’optimisation fiscale agressive. Ces actions permettent de débusquer les irrégularités et de recouvrer les impôts dus.
Dans une volonté affichée de renforcer la lutte contre la fraude fiscale et d’intégrer le secteur informel dans l’économie formelle, la Loi de Finances pour 2025 prévoit un renforcement significatif de ces dispositifs de contrôle.
Ce renforcement prendra la forme de nouvelles technologies d’analyse des données permettant d’identifier plus rapidement les anomalies et les risques de fraude. On peut aussi envisager des formations accrues pour les agents du fisc, leur permettant de maîtriser les techniques d’investigation les plus sophistiquées. Un élément particulièrement novateur de cette loi est la création d’une nouvelle catégorie de revenus soumise à l’Impôt sur le Revenu (IR). Cette catégorie vise spécifiquement les revenus évalués dans le cadre de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques, lorsque la source de ces revenus n’a pas été justifiée. Cette disposition représente un changement de paradigme significatif.
Amélioration de la traçabilité des transactions
Si le montant déclaré de cash à hauteur de 125 milliards de dirhams paraît indéniablement important, il est crucial de le replacer dans un contexte plus large, celui de l’augmentation spectaculaire du cash en circulation au Maroc ces dernières années.
Loin d’être un phénomène isolé, cette concentration de liquidités s’inscrit dans une tendance lourde qui transforme progressivement le paysage économique national. Comme le souligne Bank AL Maghrib (BAM), en décembre 2014, la circulation fiduciaire a atteint 179,41 milliards de dirhams. Une décennie plus tard, fin 2024, ce chiffre a plus que doublé, atteignant une somme colossale estimée, par BAM, à environ 428 milliards de dirhams. Cette progression fulgurante du cash en circulation n’est pas sans conséquence. En dix ans, l’économie nationale s’est profondément métamorphosée, alourdie par le poids de cette masse d’argent liquide.
Les transactions informelles, les circuits financiers parallèles et la difficulté de traçabilité des fonds sont autant de défis posés par cette abondance de cash. Cette situation complexifie la tâche des autorités monétaires et fiscales, rendant plus ardue la régulation économique et la lutte contre la fraude.
L’analyse de l’évolution de ces volumes de cash révèle une accélération notable durant la séquence de Covid-19. En effet, cette période de crise sanitaire mondiale a agi comme un véritable catalyseur, propulsant l’argent liquide en circulation à des niveaux sans précédent.
Au début de 2020, le cash en circulation s’élevait à 253 milliards de dirhams. Quelques mois plus tard, en juillet de la même année, il avait grimpé à 312 milliards de dirhams, témoignant de la rapidité et de l’ampleur du phénomène. Ce pic d’accumulation de liquidités s’explique en grande partie par la panique qui a saisi une grande partie de la population durant cette période d’incertitude. La crise sanitaire a entraîné une perte de confiance généralisée dans l’économie et plus particulièrement le système bancaire.
Face à l’incertitude quant à l’avenir, de nombreux citoyens ont opté pour la sécurité perçue du cash, préférant retirer leur argent des banques et le conserver chez eux, dans l’espoir de parer à toute éventualité, qu’il s’agisse de besoins immédiats ou de difficultés financières à venir. La thésaurisation, c’est-à-dire la conservation de l’argent sous forme liquide plutôt que de l’investir ou de le dépenser, est alors devenue une stratégie largement adoptée.
Selon les données de Bank AL Maghrib (Figure 3), en 2021, près de 80% des billets de 100 MAD et de 200 MAD auraient été détenus pour d’autres motifs que les transactions courantes (le ratio prépandémie de covid-19 reste élevé de l’ordre de 70%).
Avec une contribution atteignant près de 30% du Produit Intérieur Brut (PIB), le pays présente l’un des taux les plus élevés au monde en matière d’économie informelle.
Cette situation engendre non seulement une perte importante de recettes fiscales pour l’État, limitant sa capacité à investir dans les infrastructures et les services publics essentiels, mais elle crée également une distorsion de la concurrence, désavantageant les entreprises formelles qui respectent les réglementations et contribuent loyalement à l’impôt.
Conscient de l’impact négatif de l’économie informelle, l’État a déployé diverses tentatives pour endiguer ce phénomène et favoriser la formalisation des activités économiques.
Cependant, malgré ces efforts, l’éradication de l’économie informelle reste un défi complexe, nécessitant une approche multidimensionnelle combinant incitations économiques, renforcement des contrôles et sensibilisation des acteurs économiques.
La persistance de ce problème souligne la nécessité d’une stratégie plus complète et adaptée aux spécificités du contexte local pour parvenir à une économie plus formelle et durable.
L’adoption des innovations financières en matière de moyens de paiement au Maroc
Selon les analyses menées par Bank Al Maghrib1 , des facteurs spécifiques à la structure économique peuvent contribuer à une surestimation ou à une sous-estimation de l’encaisse intentionnellement thésaurisée. Ceci est illustré par les taux de pénétration bancaire, car les ménages non bancarisés gèrent leurs propres finances et s’engagent dans une forme de » thésaurisation forcée » qui se reflète dans les montants estimés, où le ménage sert de substitut à une banque pour préserver l’épargne.
Au Maroc, le taux de bancarisation a connu une tendance à la hausse depuis plusieurs décennies, bien qu’il n’ait atteint que 53% en 2021. A l’inverse, les innovations financières en matière de moyens de paiement peuvent conduire à une sous-estimation des sommes thésaurisées, car elles facilitent le remplacement des espèces par des moyens de paiement électroniques pour les transactions courantes.
Au cours des dernières décennies, l’utilisation des paiements par carte bancaire au Maroc a connu une augmentation significative, notamment en ce qui concerne le volume des transactions. Celui-ci a progressé, passant de 4 millions d’opérations en 2004 à environ 105 millions en 2020. Néanmoins, la valeur de ces transactions demeure comparativement modeste par rapport aux montants totaux des opérations en espèces, représentant 12% en 2021. Les paiements de proximité réalisés par le biais de terminaux de paiement électronique (TPE) représentent en moyenne 85% de l’ensemble des paiements électroniques entre 2017 et 2021, ce qui correspond à un montant moyen de 414 dirhams par transaction.
Au terme de l’année 2023, le marché marocain comptait 20 offres de M-Wallets, dont 12 étaient émises par des établissements de paiement. L’encours global des portefeuilles mobiles émis par ces établissements a connu une progression notable en 2023, s’élevant à 10,4 millions contre 7,7 millions à la fin de l’année 2022, en raison d’une augmentation des souscriptions de près de 35 %.
Le nombre global de transactions de paiement scriptural durant l’année 2023, incluant les chèques, les lettres de change normalisées, les virements, les prélèvements et le paiement mobile, s’est élevé à 492 millions, marquant une augmentation de 18% par rapport à 2022. Cependant, les transactions réalisées par l’intermédiaire de M-Wallet ne constituent que 2% de l’ensemble des moyens de paiement scripturaux.
En termes de valeur, ce mode de paiement demeure marginal, à l’instar des paiements par virement instantané, malgré une adoption croissante des technologies.
Conclusion
Bien que le programme d’amnistie fiscale et de régularisation du cash ait rencontré un succès notable au Maroc, en permettant une injection significative de capitaux dans l’économie formelle, les autorités marocaines sont encore confrontées à des défis substantiels pour consolider ces acquis et garantir une transparence financière durable. Parmi ces défis, se distingue l’impératif de renforcer et d’améliorer la traçabilité des transactions, particulièrement dans le secteur informel, qui constitue une part importante de l’économie marocaine et reste un terrain propice à l’évasion fiscale.
En effet, un système de traçabilité plus robuste permettrait non seulement de mieux identifier les sources de revenus et les flux financiers, mais aussi de lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cela implique la mise en place de systèmes de déclaration plus sophistiqués, l’utilisation accrue des technologies numériques pour le suivi des transactions, et une coordination plus étroite entre les différentes administrations concernées, telles que la Direction Générale des Impôts (DGI), les banques et les autres institutions financières.
Parallèlement, le renforcement des mécanismes de contrôle fiscal dans les futures lois de finances est crucial. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter le nombre de contrôles, mais surtout d’améliorer leur efficacité en ciblant les secteurs et les entreprises les plus à risque, en utilisant des outils d’analyse de données plus performants, et en formant davantage les agents du fisc aux techniques de fraude les plus sophistiquées. Une plus grande sévérité à l’égard des infractions fiscales, combinée à une simplification des procédures fiscales pour les contribuables honnêtes, pourrait également contribuer à améliorer le respect des obligations fiscales et à augmenter les recettes de l’État.