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Fluctuation des Taux d’Intérêt : Enjeux pour l’Economie Marocaine

Published On: mars 2023
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L’économie mondiale est actuellement confrontée à une situation difficile caractérisée par une inflation particulièrement élevée et persistante, un phénomène qui n’avait pas été observé depuis plusieurs décennies. Selon certains experts, cette situation est en partie due aux politiques monétaires des pays avancés qui ont maintenu des taux d’intérêt bas pendant une longue période, favorisant ainsi la croissance économique, mais créant également des vulnérabilités financières importantes.

Aujourd’hui, les autorités monétaires des pays avancés accélèrent la normalisation de leurs politiques, tandis que les pays émergents resserrent leur politique économique face à l’inflation et aux pressions monétaires élevées. Malheureusement, ces mesures ont contribué à fragiliser davantage l’économie mondiale, exacerbant l’inflation et entraînant une dégradation des conditions financières. Les tensions géopolitiques, telles que le conflit Russo-Ukrainien, ont également eu un impact négatif sur l’économie mondiale.

Selon les prévisions de la Banque Mondiale1, la croissance mondiale devrait connaître une forte baisse en 2023, avec un taux prévu de 1,7%, le plus faible depuis trois décennies, à l’exception de l’année 2008. Cette situation a conduit à l’émergence d’une nouvelle ère économique marquée par le durcissement des politiques monétaires dans le monde entier.

Contexte économique mondial

Persistance de l’inflation : Pourquoi ?
  • Les limitations au niveau des chaînes d’approvisionnement Depuis la crise de Covid-19, les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, ce qui a de facto eu des retombées sur le prix des matières premières. Les analyses du FMI, notamment basées sur l’évaluation du transport des marchandises, montrent que les goulets d’étranglement persistent et sont amenés à se maintenir.
  • Un déplacement de la demande vers les biens et au détriment des services.
  • La relance globale et la reprise consécutive à la pandémie: En 2022, des mesures budgétaires à hauteur d’environ 16 900 milliards de dollars ont été annoncées à l’échelle mondiale pour lutter contre la pandémie, avec un soutien un peu plus marqué dans les pays avancés. Aux États-Unis, « American Rescue Plan », un plan de relance budgétaire de 1 900 milliards de dollars a été adopté. Un groupe cité dans les analyses du FMI, « Team Persistent », a averti que la relance budgétaire massive, suivie de conditions monétaires accommodantes, serait accompagnée par une inflation élevée et persistante.
  • Un choc sur l’offre de main-d’œuvre: Deux économistes américains, Alex Domash et Lawrence Summers (2022), ont examiné dans une étude les différents indicateurs du marché du travail et ont affirmé que « même en cas d’issue positive à la pandémie de COVID-19, l’essentiel du déficit d’emplois risque de perdurer par la suite » et « contribuera fortement aux tensions inflationnistes aux États- Unis pendant quelque temps ».
Conjoncture actuelle et riposte des Banques Centrales

Le secteur financier fait face à des défis majeurs liés à la hausse des prix des matières premières et énergétiques, la hausse de l’inflation, la détérioration continue des perspectives économiques dans de nombreuses régions, ainsi que les risques géopolitiques persistants. Pour répondre à cette situation, les banques centrales continuent d’augmenter les taux d’intérêt et ont annoncé l’arrêt de leurs programmes de rachat d’actifs, traduisant ainsi un durcissement des conditions financières.

En effet, au cours de l’année 2022, les banques centrales du monde entier ont annoncé 284 hausses des taux pour maîtriser l’inflation, ce qui peut, à terme, avoir des effets négatifs sur l’économie mondiale en réduisant la demande et en augmentant le coût des liquidités.

Note de rappel : le taux directeur et les taux d’intérêt jouent un rôle crucial dans la régulation de l’inflation.

Le taux directeur représente le taux d’intérêt auquel les institutions financières empruntent des fonds sur les marchés financiers pour une durée déterminée. Il sert à établir le taux d’intérêt applicable à tous les types de prêts, tels que les prêts personnels et hypothécaires, proposés par les banques commerciales et est déterminé à travers des variables telles que l’inflation, la croissance économique et le taux de change.

Dans ce sens, les banques centrales utilisent généralement les taux directeurs comme l’un des principaux outils pour contrôler l’inflation. Si l’inflation dépasse le taux cible, une augmentation du taux directeur pourrait dissuader les emprunts et les dépenses, aidant ainsi à réduire les tensions inflationnistes. En revanche, si l’inflation est inférieure à la cible ou si l’économie est en difficulté, une diminution du taux directeur pourrait encourager les emprunts et stimuler l’activité économique.

Par conséquent, la surveillance des taux d’intérêt et du taux directeur est essentielle pour les acteurs du marché financier, car ces outils sont importants pour réguler l’inflation et l’état de l’économie.

Figure 1 : Resserrement des politiques monétaires par la majorité des Banques Centrales

Implications des taux d’intérêt

La hausse des taux a accentué les tensions pour les entités présentant des bilans mitigés. Les prix des actifs financiers ont chuté en raison du durcissement de la politique monétaire, de la détérioration des perspectives économiques, du renforcement des craintes de récession, de l’augmentation du coût de l’emprunt en devises fortes et de l’accentuation des tensions dans certaines institutions financières non bancaires. Les rendements obligataires augmentent pour la majorité des notes de crédit et les coûts d’emprunt pour de nombreux pays et entreprises atteignent des niveaux qu’ils n’avaient pas connus depuis au moins dix ans.

Volatilité des prix des actifs et des taux d’intérêt

Dans ce contexte, les marchés mondiaux sont sous tension tandis que les investisseurs adoptent des positionnements moins risqués en raison de l’incertitude économique et de l’incertitude liée aux politiques publiques. En raison des prix des actifs et des taux d’intérêt volatils, le degré de facilité et de rapidité des échanges d’actifs à un prix donné s’est détérioré dans certaines classes d’actifs clés. En revanche, si une réévaluation rapide et désordonnée du risque se reproduit, la faible liquidité du marché ainsi que les vulnérabilités préexistantes pourraient l’amplifier.

Implications sur le marché des changes et marchés des capitaux

Face à cette vague inflationniste, les politiques publiques, monétaires et budgétaires se sont resserrées à des vitesses différentes. De plus, le marché des changes mondial a été perturbé, en particulier la parité EUR/USD qui a touché un creux historique de 0,96 le 27 septembre 2022, entraînant une chute des cours des devises des pays émergents.

Ces facteurs ont également augmenté le risque de récession économique à partir du troisième trimestre de 2022, et ont entraîné un recul de la performance des marchés de capitaux internationaux. Enfin, après plusieurs années marquées par une forte expansion monétaire, les conditions de financement se sont rétrécies, ce qui ajoute une pression supplémentaire sur les économies du monde entier.

Contexte marocain

Conjoncture actuelle

Après deux ans d’inflation relativement faible (0,2% en 2019 et 0,7% en 2020), suivie d’une augmentation modérée en 2021 (1,4%), l’inflation au Maroc a connu une forte accélération en 2022 pour atteindre un sommet de 6,6%, principalement en raison de la flambée des prix des produits énergétiques et alimentaires, ainsi que de l’accélération de l’inflation chez les principaux partenaires commerciaux, selon l’indice des prix à la consommation (IPC) publié par le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Selon le HCP, les hausses les plus importantes de l’IPC annuel ont été enregistrées à Al-Hoceima avec 8,4%, à Kénitra et Beni-Mellal avec 8,0%, à Errachidia avec 7,6%, à Marrakech avec 7,3%, à Safi avec 7,0%, à Fès et Oujda avec 6,9% et à Tétouan et Meknès avec 6,8%.

Une inflation relativement maitrisée au Maroc

Il convient de noter que le taux d’inflation global au Maroc demeure relativement faible par rapport aux niveaux enregistrés dans les pays voisins et comparables tels que l’Egypte (13,8%) et la Tunisie (8,3%), les économies avancées telles que les États-Unis (8%) et la zone euro (8,4%), ainsi que certains pays émergents tels que le Brésil (9,3%) et l’Inde (6,7%). En d’autres termes, bien que l’inflation soit un défi à relever, le Maroc parvient à maintenir une certaine stabilité relative dans son économie par rapport à ses voisins et à d’autres pays comparables.

Figure 2 : Taux d’inflation
(à fin décembre, glissement annuel, en %)

Des conditions géoéconomiques et climatiques en défaveur de l’économie marocaine

L’économie marocaine a connu un ralentissement considérable en 2022. Selon les prévisions du HCP, le pays a enregistré une croissance de seulement 1,3%, comparé à une croissance de 7,4% en 2021. Selon les données de Bank Al-Maghrib, la croissance économique du troisième trimestre de 2022 a chuté à 1,6% après avoir connu une croissance de 8,7% le même trimestre un an auparavant. Cette chute est due à une décélération de 3,8% de la valeur ajoutée non agricole et à une contraction de 15,1% de celle agricole. Ces résultats ont été influencés par un environnement extérieur défavorable ainsi que des conditions climatiques difficiles, entrainant un stress hydrique et une faible productivité agricole.

Réponse de BAM : rehausse du taux d’intérêt

En janvier 2023, la Banque Centrale marocaine (BAM) a décidé de rehausser le taux directeur à 2,5%9, pour la deuxième fois depuis septembre 2022, afin d’ancrer les anticipations d’inflation dans un contexte où l’inflation importée se propage vers d’autres produits locaux. L’objectif étant de diminuer les octrois de crédits pour mettre fin à une spirale de hausse des prix. Cette augmentation a entraîné une réévaluation des marchés obligataires et boursiers, mais il existe un risque que BAM continue de resserrer sa politique monétaire tant que l’inflation locale reste élevée.

Mesures exceptionnelles prises par BAM

Pour pallier la chute du marché obligataire due à l’incertitude quant à l’évolution future de l’inflation et de la réaction de BAM, celle-ci a introduit des mesures exceptionnelles, telles qu’un programme de rachat de Bons du Trésor (BDT) sur le marché secondaire et un recalcul de la courbe des taux BDT en utilisant les cotations des banques. Ces mesures ont pour objectifs d’éviter un manque de liquidité sur le court terme et de faire converger les niveaux affichés par la courbe des taux secondaires et la réalité du marché.

Figure 3 : Courbe des taux BDT sur le marché secondaire

Les principaux secteurs impactés

Au vu de la situation économique actuelle, les fluctuations des taux d’intérêt peuvent avoir des conséquences majeures sur les entreprises, les investisseurs et les consommateurs qui subissent les variations de l’économie nationale. Certains secteurs sont particulièrement sensibles aux changements de taux d’intérêt.

Risques de fluctuation des taux d’intérêt

Compte tenu de l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur l’économie d’un pays, il est important de souligner que les fluctuations des taux d’intérêt ont des conséquences significatives sur divers acteurs économiques, notamment les banques, les entreprises et les investisseurs. Par conséquent, il est essentiel de surveiller attentivement les fluctuations des taux d’intérêt et d’en tenir compte lors de la prise de décisions économiques importantes.

Pour les banques

Les institutions financières sont particulièrement vulnérables aux fluctuations des taux d’intérêt qui menacent à la fois leurs fonds propres et leurs bénéfices. D’une part, l’augmentation des taux d’intérêt réduit considérablement l’attractivité des prêts, ce qui se traduit par une diminution de la demande de prêts et donc une baisse des profits des banques. D’autre part, si les banques ont déjà accordé des prêts à taux fixe et que les taux d’intérêt augmentent, elles sont susceptibles d’enregistrer des pertes en devant payer des taux d’intérêt plus élevés pour financer ces prêts. En outre, dans ce contexte, les banques enregistrent des pertes sur les portefeuilles de titres qu’elles détiennent si les taux d’intérêt augmentent et que la valeur de ces titres diminue.

En somme, les effets dépendent de facteurs tels que la structure du portefeuille d’actifs et de passifs, la concurrence sur le marché et la politique monétaire globale. Cela pousse également les banques à provisionner davantage.

Pour les entreprises

Les fluctuations des taux d’intérêt ont un impact sur les entreprises car elles ont des sources de financement à taux variable et des placements qui en dépendent. L’augmentation des taux d’intérêt peut entraîner des coûts d’emprunt plus élevés, ce qui peut réduire la rentabilité des entreprises et leur capacité à investir dans leur secteur d’activité. Si une entreprise a un gap de taux, c’est-à-dire un déséquilibre entre ses emplois et ses ressources à taux variable, une hausse des taux d’intérêt peut entraîner des pertes plus importantes que les gains. Les entreprises ayant un niveau d’endettement élevé ou dépendant de prêts à taux variable peuvent également être confrontées à des fluctuations imprévues de leurs charges d’intérêts.

Enfin, les fluctuations des taux d’intérêt influencent les conditions économiques plus générales, notamment les niveaux de croissance économique et d’inflation, ce qui se répercute sur les revenus des entreprises.

Pour les investisseurs

L’inflation a tendance à détériorer les rendements des investisseurs. Les hausses de taux entraînent notamment une baisse de la valeur des obligations et des actions. L’impact sur les devises et les marchés émergents affecte également les portefeuilles d’investissement des investisseurs.

L’inflation détériore les rendements des investissements dans les secteurs les plus sévèrement impactés, notamment les secteurs de l’énergie, des mines, de construction et les industries manufacturières.

Conclusion

Actuellement, l’économie mondiale subit une hausse importante des taux d’intérêt, ce qui est également le cas pour l’économie marocaine. Les banques centrales de chaque pays ont augmenté leurs taux pour ralentir la machine économique et ainsi réduire la hausse des prix. Bien que les marchés financiers prévoient une baisse des taux d’intérêt en fin 2023, le niveau d’inflation reste élevé et loin des taux normaux.

Cependant, cette situation offre des opportunités pour atténuer les conséquences négatives que pourrait engendrer l’inflation et la hausse des taux d’intérêt sur l’économie du Maroc. En effet, cela pourrait encourager l’investissement dans des secteurs tels que l’immobilier ou les actions, qui offrent des rendements plus élevés en période de taux d’intérêt élevés.

De plus, la baisse du pouvoir d’achat pourrait stimuler la production nationale et la compétitivité de l’industrie locale. Néanmoins, le phénomène inflationniste dont tout porte à croire qu’il persistera même en s’affaiblissant doit appeler à la vigilance. L’économie marocaine s’est montrée résiliente, mais la surveillance des courbes inflationnistes doit se poursuivre et l’action sur le taux d’intérêt demeure une variable d’ajustement nécessaire. L’avenir de la croissance sera significativement déterminé par l’évolution des taux d’intérêt et du taux d’inflation.

 

Published On: mars 2023
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