Categories: Focus

Le partenariat stratégique entre le Maroc et les Émirats Arabes Unis

Published On: juin 2025
Partager
Introduction

La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) connait une dynamique géopolitique en constante évolution, marquée par des incertitudes et la recomposition progressive des alliances traditionnelles. Dans ce contexte régional complexe, l’établissement et le renforcement de nouveaux partenariats stratégiques apparaissent comme une réponse aux défis sécuritaires, économiques et politiques. L’approfondissement des liens entre le Royaume du Maroc et les Émirats Arabes Unis (EAU) s’inscrit dans cette tendance, témoignant d’une volonté commune de consolider leur coopération face aux mutations régionales.

L’engagement mutuel à renforcer leur relation s’est illustré par la visite du Roi Mohammed VI à Abu Dhabi les 4 et 5 décembre 2023, à l’invitation de Cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyane. Cette rencontre a abouti à la signature d’une déclaration conjointe intitulée « Vers un partenariat novateur, renouvelé et enraciné entre le Royaume du Maroc et l’État des Émirats Arabes Unis ». Ce document souligne une convergence de vues quant aux opportunités de complémentarité et à la nécessité d’une coopération pragmatique accrue. L’ambition affichée est d’établir un modèle de coopération économique et d’investissement global et équilibré, ouvert à une participation active du secteur privé, et de collaborer sur des projets structurants dans des secteurs clés.

Parallèlement, la commémoration du 52ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux nations, célébrée le 10 juillet 2024 notamment par un séminaire à l’ambassade de l’Etat émirati à Rabat, a permis de mettre en lumière les fondements, les réalisations, la signification géopolitique et les perspectives d’avenir prometteuses de ce partenariat bilatéral. L’analyse des motivations profondes qui sous-tendent le partenariat stratégique entre le Royaume du Maroc et les Émirats Arabes Unis, l’évaluation des avantages mutuels découlant de cette coopération accrue et l’identification des potentielles limites ou défis susceptibles d’entraver son développement optimal constituent un axe important de réflexion pour appréhender la portée et la durabilité de cette alliance bilatérale dans le contexte régional actuel.

Contexte et fondements du partenariat stratégique Maroc- EAU

Motivations stratégiques de chacun des pays

Le Maroc poursuit une stratégie de partenariats internationaux à plusieurs dimensions, combinant des objectifs économiques, politiques et d’influence régionale. Sur le plan économique, le Royaume diversifie ses alliances au-delà de l’Europe, son partenaire historique, en renforçant ses relations avec des puissances émergentes telles que la Chine, l’Inde et les pays du Golfe, ainsi qu’avec des partenaires anglo-saxons comme les États-Unis et le Royaume-Uni. Cette dynamique vise à consolider son positionnement comme acteur clé du développement mondial et régional.

Sur le plan politique, le Maroc ambitionne de renforcer son rôle de hub africain, en s’appuyant sur des projets d’envergure, comme le gazoduc Nigeria-Maroc, et des investissements accrus en Afrique subsaharienne, tout en affirmant son autonomie stratégique vis-à-vis de l’Europe.

Les Émirats Arabes Unis, quant à eux, inscrivent leur stratégie de partenariats dans une vision de diversification économique de long terme, en réponse à la finitude de leurs ressources en hydrocarbures. Portés par la vision économique d’Abu Dhabi 2030, les EAU investissent massivement dans des secteurs à forte valeur ajoutée et s’appuient sur des alliances stratégiques pour étendre leur influence. Leur intérêt croissant pour le Maroc repose sur la position géographique stratégique de ce dernier comme passerelle vers l’Afrique de l’Ouest. Les EAU ambitionnent de devenir un investisseur de référence sur le continent, en s’appuyant sur des projets structurants dans les domaines de l’énergie, des infrastructures, de la logistique et des ressources naturelles, tout en facilitant l’internationalisation de leurs entreprises nationales.

Évolution historique et diplomatique des relations Maroc-EAU

Les relations Maroc – Émirats Arabes Unis révèlent une dynamique bilatérale, ancrée dans un contexte historique, marquée par des initiatives institutionnelles et soutenue par une convergence d’intérêts géopolitiques.

La création de la commission mixte EAU-Maroc en 1985 a formalisé une volonté de coopération structurée, dont les sessions périodiques, étalées entre 1988 et 2018, témoignent d’un engagement continu au plus haut niveau ministériel. Ces rencontres ont servi de cadre officiel pour l’identification et la consolidation des domaines d’intérêt commun.

Sur le plan géopolitique, les deux nations partagent une vision convergente sur des enjeux stratégiques majeurs. Leur engagement commun dans la lutte contre le terrorisme transnational et les organisations criminelles souligne une compréhension partagée des menaces à la sécurité régionale. De plus, leur alignement sur des questions de diplomatie internationale renforce leur capacité d’action concertée sur la scène mondiale. Cette convergence d’intérêts se traduit également par une coopération économique substantielle, illustrée par des flux commerciaux et des investissements mutuels en croissance.

La solidité des liens bilatéraux repose sur une adhésion des leaderships des deux pays à diversifier et à approfondir la coopération. La session inaugurale du Conseil d’affaires MarocÉmirats Arabes Unis, qui s’est tenue le 9 avril 2025 à Sharjah, constitue une avancée notable dans cette optique, témoignant d’une détermination commune à stimuler les échanges économiques et commerciaux. Cette initiative, fruit d’une collaboration entre la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) et la Fédération des Chambres de Commerce et d’Industrie des Émirats Arabes Unis, met en lumière le potentiel d’effort conjoint dans des secteurs clés tels que le tourisme, les infrastructures, l’agroalimentaire, les énergies renouvelables, la finance et les technologies de pointe.

Sur le plan culturel, la désignation du Maroc comme invité d’honneur de la 43ème édition de la Foire Internationale du Livre de Sharjah, ayant eu lieu en novembre 2024, constitue un événement important, révélant une reconnaissance profonde de la richesse et de la diversité du patrimoine culturel marocain au sein de la scène littéraire et intellectuelle arabe et internationale. Cette mise en lumière offre ainsi une plateforme privilégiée pour explorer les multiples facettes de la production intellectuelle, artistique et littéraire du Royaume.

Dans ce contexte, l’Agence Marocaine pour le Développement des Provinces du Sud a saisi l’opportunité de présenter un aperçu des initiatives culturelles majeures entreprises dans ces régions. La préservation de la culture hassanie apparaît comme une initiative phare au regard de son enjeu patrimonial. Cette démarche vise, d’une part à sauvegarder et à promouvoir les expressions culturelles spécifiques des provinces du Sud, traduisant une reconnaissance croissante de la valeur de ce patrimoine immatériel, et d’autre part, elle marque l’existence de liens culturels avec les Emirats Arabes Unis ainsi qu’une volonté commune de valoriser et de pérenniser les identités culturelles régionales au-delà des frontières nationales

Cadre institutionnel et accords bilatéraux

Le 4 décembre 2023, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Son Altesse Cheikh Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane, Président de l’État des Émirats Arabes Unis, ont signé, à Abou Dhabi, la déclaration intitulée « Vers un partenariat novateur, renouvelé et enraciné entre le Royaume du Maroc et l’État des Émirats Arabes Unis ».

Les 12 protocoles d’accord signés dans le cadre de cette déclaration incluent notamment un partenariat d’investissement dans un projet de train à grande vitesse au Maroc et des investissements dans le secteur de l’eau, le secteur de l’énergie, l’agriculture et le secteur aéroportuaire.

L’ensemble de ces Mémorandums d’Entente (MoU) signés révèlent une orientation stratégique claire vers le développement d’investissements conjoints dans des secteurs d’infrastructure prioritaires pour la modernisation et la croissance économique des deux pays. Ces accords reflètent la volonté mutuelle de renforcer la connectivité et l’attractivité du Maroc, avec des partenariats ciblant des projets d’envergure tels que le TGV, les aéroports, les ports et le crucial projet de gazoduc Maroc-Nigeria.

Au-delà des infrastructures, les MoU mettent en lumière une diversification des domaines de coopération, englobant des secteurs essentiels tels que l’eau, l’énergie, l’agriculture, la pêche maritime, les mines, les marchés financiers et de capitaux, le tourisme, l’immobilier et les data centers.

L’implication du ministre émirati de l’Énergie et des Infrastructures ainsi que du ministre de l’Investissement dans plusieurs de ces initiatives souligne l’engagement de haut niveau des EAU dans le développement de ces secteurs stratégiques au Maroc ainsi que la coordination intergouvernementale qui s’inscrit dans une approche globale visant à maximiser les bénéfices mutuels de ces partenariats stratégiques, tout en stimulant la croissance économique marocaine à travers des investissements émiratis ciblés et des transferts d’expertise potentiels.

Analyse des impacts et défis du partenariat

Impacts économiques et commerciaux

L’enracinement économique et commercial entre les Émirats Arabes Unis et le Royaume du Maroc ambitionne de rééquilibrer le déficit de la balance commerciale, en faveur des EAU, avec 13,187 milliards MAD d’importations contre 2,109 milliards MAD d’exportations pour le Maroc en 2023, selon les données de l’office des changes.

Comme l’illustre la figure 2, en 2023, le Maroc a exporté 30,1 millions de dollars de costumes pour femmes non tricotés, 18,2 millions de dollars de l’argent (métal), et 16,8 millions de dollars de fruits. Les exportations marocaines à destination des EAU ont augmenté de 11,2% annuellement en passant de 131 millions de dollars en 2018 à 223 millions de dollars en 2023.

En revanche, sur la figure 3, les exportations émiraties vers le Royaume concernent 394 millions de dollars de pétrole raffiné, 313 millions de dollars de soufre et 152 millions de dollars d’aluminium brut. En comparaison, les exportations émiraties ont augmenté de 8,53% annuellement, passant de 894 millions de dollars en 2018 à 1,35 milliard de dollars en 2023.

Lors du Forum Maroco-Émirati de juin 2024, Mme Assia Ben Saad, Directrice de la coopération et des partenariats à l’Agence Marocaine de Développement des Investissements et des Exportations (AMDIE), a fait état du classement des EAU en tant que premier investisseur arabe au Royaume, eu égard aux 17 milliards de dollars d’investissement émiratis.

A titre illustratif, 72 % des investissements émiratis au Maroc proviennent des fonds souverains, 18 % des entreprises gouvernementales et semi-gouvernementales, 2,5 % de banques émiraties et 7,5 % de la part d’entreprises privées. Parmi les grandes entités émiraties d’investissement, apparaissent :

  • Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), le fonds qui a acquis aux côtés d’Apollo Global Management la société de distribution de produits chimiques, Univar Solutions, pour 8,2 milliards de dollars
  • Mubadala, le fonds souverain émirati pour les investissements stratégiques, qui a fait l’acquisition du groupe pharmaceutique marocain PHI Maroc
  • DP World, filiale de Dubai World, géant de la logistique portuaire dans plus de 60 pays dans le monde. Ce même groupe a inauguré, en février 2025, un service maritime de liaison décarbonée pour le passage des produits marocains frais vers l’Europe

À la fin du premier trimestre 2024, 850 entreprises marocaines étaient officiellement enregistrées comme membres actifs de la Chambre de commerce de Dubaï. Cette dynamique reflète une hausse annuelle de 12 %, portée par l’arrivée de 99 nouveaux membres, principalement actifs dans les secteurs de l’immobilier, de la banque et de l’assurance.

De fait, cet élan de coopération a pour finalité de rehausser la coopération bilatérale des deux États, en appui au programme de développement économique et social au titre des années 2024-2029.

Dimension politique et géostratégique Le partenariat bilatéral, portant principalement sur l’aspect économique et commercial, a également un revers géopolitique et stratégique, étant donné les ambitions et les intérêts politiques des deux États. Eu égard à la position stratégique du Maroc en Afrique, les EAU ont une volonté de rapprochement et un enracinement au sein du continent africain.

Cette alliance bilatérale met en avant la volonté des Émirats à examiner les différentes possibilités de coopération avec les pays africains, par le biais de projets marocains avec rayonnement régional, à l’instar du projet du gazoduc NigeriaMaroc, communément appelé le gazoduc Afrique–Atlantique (GAA). Ce projet, évalué à un montant de 25 milliards de dollars, encourage la contribution de plusieurs États, dont les EAU.

Cette infrastructure est non seulement soutenue par des nations mais aussi par des institutions multilatérales, à l’instar de la Banque Islamique de Développement (BID), la Banque Européenne d’Investissement (BEI), ou bien le Fonds de l’OPEP pour le développement international.

Le gazoduc Afrique–Atlantique (GAA)

Le projet gazoduc Nigeria–Maroc a été lancé en 2016 suite à la visite de SM le Roi Mohamed VI au Nigeria. Le GAA est une infrastructure d’une longueur de 5700 km, traversant 13 pays africains entre le Nigeria et le Maroc (le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau, la Guinée, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie), pour, finalement, se connecter à l’Espagne.

De fait, la portée de ce projet repose sur la connectivité du continent africain avec le continent européen.

Le but étant de contribuer à une intégration régionale entre les différents pays africains, et à sécuriser l’énergie africaine.

Par ailleurs, le projet « Dakhla Gateway to Africa » dont l’objectif est de concrétiser une vision d’une nouvelle Dakhla à l’horizon 2035, se développe en partenariat avec les Émirats Arabes Unis. En effet, dans ledit partenariat de décembre 2023, la ville de Dakhla a été évoquée à cinq reprises, en tant que futur hub qui incarne les liens tissés entre les EAU et le Maroc et englobe des projets internes dans divers domaines tels que le tourisme et l’immobilier.

Cette ambition commune s’appuie également sur l’identité portuaire de Dakhla, pour créer une flotte maritime commerciale et de développer une infrastructure portuaire solide au Maroc.

Le Port Dakhla Atlantique

Le nouveau port de Dakhla Atlantique s’inscrit dans la logique marocaine du développement de la région de Dakhla-Oued Eddahab, avec un financement de 12,5 milliards de dirhams marocain.

Il convient de noter que ce projet portuaire comportera une zone logistique appelée West Africa Free Zone, soit une zone franche destinée à stimuler les flux commerciaux et renforcer les échanges entre les différents continents américain, européen et africain.

De surcroît, ce port permet non seulement d’acheminer des marchandises mais aussi de l’énergie. En 2022, le projet de la société Maroco-émiratie Dahamco pour la production d’hydrogène vert et d’ammoniac a été introduit à Dakhla. La co-entreprise envisage d’investir un montant à 25 milliards de dollars pour mettre à bien ce projet. Cette stratégie énergétique entre les deux pays a pour but de s’adapter et de développer une résilience face au marché énergétique mondial pivotant.

Il convient aussi de mettre en lumière les implications des EAU dans une autre zone maritime stratégique au Royaume, à savoir Tanger Med. A titre d’illustration, en 2022, Emirates Logistics, filiale du groupe Sharaf, a érigé un centre logistique à Tanger Med. L’inauguration de ce centre ambitionne d’apporter une expertise émiratie dans les domaines de transport, de connectivité et de logistique.

Conclusion

En bref, le partenariat unissant les Émirats Arabes Unis et le Maroc s’inscrit dans une perspective de coopération bilatérale historique et diplomatique établie depuis plus de 52 ans. Cette dynamique se caractérise par la volonté commune des deux États à faire face aux enjeux sécuritaires, économiques et politiques.

L’alliance revêt des motivations stratégiques convergentes à chacun de ces pays, dans la mesure où, d’une part, le Royaume du Maroc opte pour une stratégie nationale en faveur de partenariats internationaux et régionaux. Cette diplomatie marocaine prétend à un positionnement en tant que hub africain majeur.

D’autre part, les Émirats Arabes Unis mettent en œuvre une révision de leur stratégie nationale dans le but de diminuer leur dépendance à l’égard du pétrole, en diversifiant leurs ressources économiques.

A travers les 12 protocoles d’accords signés en 2023, le partenariat qualifié de « novateur, renouvelé et enraciné », a établi les bases des relations commerciales et économiques entre les deux États. Plusieurs secteurs sont concernés, notamment le secteur portuaire et les marchés financiers. Ainsi, via cet accord, les EAU se sont engagés à contribuer à plusieurs projets stratégiques au Maroc, notamment pour rendre la ville de Dakhla un hub stratégique.

Néanmoins, il convient d’appréhender cette collaboration bilatérale dans le contexte des dynamiques mondiales en évolution. En d’autres termes, l’ordre mondial changeant provoque de l’instabilité dans certaines régions, susceptibles d’affecter implicitement les relations bilatérales.

Published On: juin 2025
Partager