Les relations bilatérales franco-marocaines : vers une relance diplomatique et économique.
Introduction
Après plusieurs années marquées par un froid diplomatique entre Rabat et Paris, les deux pays cherchent à apaiser leurs relations depuis octobre 2023.
La tension entre les deux pays s’est manifestée par plusieurs événements notamment la décision de la France de réduire la moitié des visas octroyés aux Marocains en septembre 2021, ainsi que la décision du Maroc d’accepter des propositions d’aide d’une liste de pays n’incluant pas la France à la suite du séisme ayant touché la région d’Al Haouz. En outre, les révélations du média Forbidden Stories accusant le Maroc d’espionnage du téléphone du président français avec le logiciel d’espionnage israélien Pegasus en 2019 et le rapprochement politique France- Algérie après qu’Alger ait rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en 2021, ont ravivé les tensions entre le Maroc et la France.
Après ces épisodes de tensions entre les deux parties, le retour à la normale s’est exprimé par la visite du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, le 26 février 2024 à Rabat. Cette visite a un caractère hautement symbolique puisqu’elle a constitué la première visite officielle au Maghreb du ministre français depuis sa prise de fonction en janvier 2024.
Par ailleurs, cette visite a permis de lancer plusieurs signaux de réchauffement des relations diplomatiques bilatérales entre le Maroc et la France. Lors de la conférence de presse organisée en marge de cette visite, le ministre français a déclaré qu’il y existe “entre la France et le Maroc un lien exceptionnel et que le président français veut que ce lien reste unique et qu’il s’approfondisse encore dans les prochains mois”. Pour sa part, le ministre marocain des affaires étrangères a estimé que la relation bilatérale entre les deux pays n’avait pas d’égal.
Pour faire preuve de bonne volonté de poursuivre et approfondir ce rapprochement, le ministre français a réitéré le soutien de Paris au plan d’autonomie marocain au Sahara.
Dans ce dossier, nous passerons en revue l’évolution des relations Maroc-France au cours des derniers mois en mettant en avant les implications économiques de ce rapprochement diplomatique.
Dynamique de relance des relations franco-marocaines : Un cycle de visite des ministres français au Maroc
C’est à l’occasion de la tenue des assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale en octobre 2023 à Marrakech que la volonté commune de relancer les relations économiques et de coopération entre le Maroc et la France a été exprimée de manière affirmée.
Dans la dynamique de relance des relations franco-marocaines, plusieurs visites de ministres français ont été effectuées.
Visite du ministre français du commerce extérieur, Franck Riester : des investissements français au Sahara marocain sont au centre du déplacement.
Lors de sa visite au Maroc, du 4 au 5 avril 2024, le ministre français du Commerce extérieur, Franck Riester, a assisté à la signature d’une convention entre la Banque Publique d’Investissements BPI France et Tamwilcom à la Chambre française du commerce.
Lors de ses déclarations, Franck Riester a confirmé la volonté de la France d’investir dans des projets au Sahara en accompagnement de la stratégie d’investissement du Maroc dans ses régions du Sud. Le ministre français a notamment déclaré que « Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AfD) dédiée au secteur privé, pourrait contribuer au financement d’une ligne haute tension entre Dakhla et Casablanca ».
Visite du ministre français de l’intérieur du 21 au 22 avril 2024
Lors de sa visite au Maroc, Gérard Darmanin, ministre de l’Intérieur a mis en avant la reprise des relations entre Paris et Rabat. Ce dernier a salué la coopération en matière de lutte antiterroriste avec le Maroc à l’issue d’un entretien avec le ministre marocain Abdelouafi Laftit. A ce titre, il a déclaré que « sans les services de renseignements marocains, la France serait plus touchée par le terrorisme, et on les remercie fortement, notamment en prévision des Jeux olympiques ». Ce dernier a en outre fait appel au Maroc pour participer à la sécurisation des jeux olympiques de Paris cet été.
Visite du ministre français de l’agriculture du 21 au 23 avril 2024
Dans le cadre du renforcement de la coopération entre Paris et Rabat dans les domaines agricole, agraire et forestier, le ministre français de l’Agriculture, Marc Fesneau, accompagné d’une délégation de représentants d’instituts de recherche, d’établissements d’enseignement français, ainsi que des hommes d’affaires et des chefs d’entreprise, a participé à la 16e édition du Salon de l’Agriculture de Meknès (SIAM) où la France était représentée par 37 entreprises.
La signature d’un accord de coopération agricole et forestière a fait l’objet de la réunion bilatérale tenue le 22 avril 2024 entre Marc Fesneau et son homologue marocain Mohamed Sadiki.
Cet accord perçu comme un nouveau modèle, à la fois équilibré, innovant et ambitieux vise à promouvoir des systèmes agricoles et forestiers résilients, durables et productifs face au changement climatique, tout en renforçant les échanges en matière de formation et de coopération scientifique. Dans ce cadre, trois accords de coopération ont été signés :
a) La première convention-cadre de partenariat a été conclue entre la Fédération Nationale Interprofessionnelle Marocaine des Semences et plants (FNIS) et l’interprofession agricole française des semences et plants (SEMAE) en vue de l’accompagnement des développements de la filière semences et plants marocaine. b) La deuxième convention-cadre a été signée entre la Fédération Interprofessionnelle Marocaine des Activités Céréalières (FIAC) et l’interprofession des céréales françaises, Intercéréales France, afin d’accompagner la FIAC dans le développement et la mise en place de ses projets. Cela implique d’apporter son concours dans les différentes phases de réflexion, de création et de suivi.
c) La troisième convention-cadre a été conclue entre la Fédération interprofessionnelle de la filière lait (Maroc lait) et l’Association nationale française interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV) en faveur de l’accompagnement du développement de la production laitière marocaine.
Visite du ministre français de l’économie Bruno le Maire
Le ministre français de l’Economie et des Finances a été en visite officielle au Maroc du 25 au 26 avril 2024.
Comme exprimé par le ministre français, ce déplacement constitue l’occasion de poser les jalons de la nouvelle feuille de route économique franco-marocaine. Le 25 avril, Bruno Le Maire a eu un entretien avec le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, pour discuter des perspectives de la coopération industrielle entre les deux pays dans des secteurs porteurs, notamment en matière d’hydrogène vert. La France étant le premier partenaire du Maroc en termes de recettes touristiques et d’investissements étrangers, plusieurs thématiques ont fait l’objet des discussions bilatérales, notamment l’agriculture et l’agroalimentaire, l’énergie et décarbonation, la ville durable ainsi que la co-organisation de la Coupe du Monde 2030 par le Maroc, l’Espagne et le Portugal.
Bruno Le Maire a également assisté aux travaux du forum d’affaires franco-marocain, une initiative des organisations patronales des deux pays, le MEDEF International (mouvement des entreprises de France à l’international) et la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) qui s’est tenu le 26 avril 2024, en présence d’environ 300 hommes d’affaires des deux pays, sur le thème : « Ensemble vers un élan renouvelé des opportunités économiques et sociales ».
Les prémices d’un réchauffement diplomatique entre Rabat et Paris : le volet économique prime
Panorama de la relation économique bilatérale Maroc-France
Le Maroc représente une destination économique de première importance pour les entreprises françaises. Selon les données 2022 de l’INSEE, la diaspora marocaine présente en France est évaluée à plus de 836 000 personnes. Du côté français, plus d’un millier de PME françaises sont présentes au Maroc, avec la quasi-totalité du CAC 40 ayant une activité sur place.
Par ailleurs, les données de la direction générale du trésor marocain indiquent que le Maroc est le premier pays d’implantation des entreprises françaises en Afrique, permettant la création de 150 000 emplois dans le pays (soit 1/3 des emplois créés par les filiales françaises sur tout le continent) avec 952 filiales d’entreprises françaises présentes dans tous les secteurs d’activité.
La France demeure ainsi le premier partenaire économique et financier du Maroc. Les données de la Direction général du Trésor montrent que :
– Les échanges commerciaux entre la France et le Maroc ont fortement progressé, enregistrant une hausse de 24% en 2022, tirée notamment par la croissance des exportations françaises de céréales. Cette tendance s’est confirmée en 2023, avec des échanges dépassant les 14 milliards d’euros, un chiffre qui a doublé en l’espace de 10 ans, selon les données disponibles. La France occupe une place importante dans ce commerce bilatéral, se classant comme le deuxième client et fournisseur du Maroc, avec 18,7% des exportations marocaines vers la France et 10% des importations marocaines en provenance de ce pays. Ces échanges équilibrés, avec un solde positif pour le Maroc, témoignent de l’imbrication des écosystèmes industriels.
– Sur le plan des investissements croisés, la France demeure le premier investisseur étranger (30,8% du stock total d’IDE). De son côté, le Maroc est le 1er investisseur africain en France. Le stock d’IDE des entreprises marocaines dans l’Hexagone est passé de 370 millions à près d’1,8 Md EUR entre 2015 et 2022. Ces investissements soulignent les intérêts économiques mutuels et les partenariats commerciaux solides entre les deux pays, avec le potentiel d’une collaboration plus poussée à l’avenir.
Nouvelle feuille de route économique Maroc-France
Dans la dynamique du renouvellement et de la modernisation de la relation franco-marocaine, une nouvelle feuille de route est en train de se co-construire et de mûrir entre les deux parties. Selon Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, la sécurisation des chaînes de valeur, la décarbonation, le défi climatique et la transition numérique constituent les axes phares de ladite feuille de route. Le ministre français a déclaré, lors de sa visite à Rabat le 26 avril, qu’il « nous appartient de redéfinir nos stratégies et nos complémentarités économiques et de réinventer des logiques gagnant-gagnant, qui sont les seules possibles ».
Ainsi, lors du forum Maroc-France du 26 avril, la communauté d’affaires du secteur privé CGEM-Medef a apporté sa contribution à cette feuille de route (voir l’encadré 2).
Le forum d’affaires franco-marocain, Medef-CGEM « Ensemble vers un élan renouvelé des opportunités économiques et sociales »
Axes de discussions :
SAISIR DE NOUVELLES OPPORTUNITÉS FACE AUX CHOCS ÉNERGÉTIQUES ET ALIMENTAIRES
Nouveaux schémas de développement des énergies au service d’une résilience renforcée. Le Maroc dispose de nouvelles opportunités de développement de la production électrique, tant dans les énergies de transition, telles que le gaz, que dans les énergies du futur, telles que l’hydrogène vert. Il peut ainsi contribuer à une réponse de niveau stratégique aux besoins énergétiques de l’Union Européenne. A cet égard, ses ressources éoliennes et solaires combinées à de vastes réserves foncières disponibles, positionnent le Maroc en tant qu’acteur mondial incontournable dans l’hydrogène vert. Ces atouts peuvent être valorisés dans le cadre d’un partenariat efficient France-Maroc, couvrant les différentes chaînes de la valeur ajoutée : énergies renouvelables, usines de dessalement, unités d’électrolyse et unités industrielles dédiées aux produits dérivés.
LES ENJEUX DE DEVELOPPEMENT POUR L’AGRICULTURE ET L’AGRO-INDUSTRIE EN VUE D’UNE SECURITE ALIMENTAIRE RENFORCEE
Dans un contexte inflationniste, la productivité des sols devra être fortement optimisée et adaptée à des environnements soumis à une double tension hydrique et démographique, ceci tout en préservant des prix accessibles pour le consommateur ainsi que les équilibres liés au développement durable. En outre, l’intégration industrielle constitue un enjeu essentiel dans une logique de montée en valeur ajoutée, de création d’emplois locaux, et de préservation des réserves de devises. A cet égard, la complémentarité entre acteurs français et marocains devrait permettre d’accélérer les initiatives en cours.
« MADE WITH MOROCCO » : NOUVELLES OPPORTUNITÉS LIÉES AUX COLOCALISATIONS ET À LA RECONFIGURATION DES CHAÎNES DE VALEUR
La diversification ainsi que la localisation des fournisseurs et partenaires constituent les paramètres essentiels d’un Risk Management rénové, au service d’une croissance résiliente et pérenne des entreprises françaises et marocaines. Dans ce contexte, les opérateurs marocains et français sont appelés à favoriser ensemble de nouveaux schémas de co-localisation et d’intégration industrielle combinant proximité, sécurité et compétitivité.
FORMATION ET DIGITALISATION, LEVIERS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT
La formation et le développement des compétences constituent le levier élémentaire pour construire des avantages compétitifs durables. Ainsi, le développement des talents digitaux doit contribuer à accélérer la digitalisation des entreprises, mais aussi, à développer de nouvelles formes de coopération entre start-ups et entreprises ainsi que l’entrepreneuriat.
Signature de partenariats Maroc-France dans le sillage de la nouvelle feuille de route économique
Bpifrance et INNOVX, entreprise marocaine multisectorielle engagée dans le développement d’entreprises et d’écosystèmes innovants et durables, ont annoncé le 26 avril 2024, la signature d’un protocole d’accord visant à renforcer la coopération autour de projets stratégiques dans des secteurs clés en France et au Maroc, permettant de répondre aux enjeux de décarbonation industrielle, de transition énergétique et de renforcement des chaînes de valeurs agricoles.
Ce partenariat, s’inscrivant pleinement dans le cadre des plans stratégiques d’INNOVX et de Bpifrance, vise à accompagner des projets stratégiques développés par INNOVX en lien avec des entreprises françaises, via l’utilisation d’outils de financement, d’investissement et de garanties Bpifrance.
Par ailleurs, cette collaboration prévoit la possibilité de mettre en place des mécanismes de co-investissement pour renforcer des chaînes de valeur et des écosystèmes, notamment dans les domaines de l’innovation et de la deeptech et des chaînes de valeur agricoles. En outre, en s’appuyant sur l’expertise de Bpifrance dans le financement de l’innovation et sur le savoir-faire d’INNOVX dans le développement d’entreprises et d’écosystèmes, il permettra de dynamiser l’écosystème entrepreneurial et de favoriser l’émergence de projets innovants à fort potentiel de croissance.
Des investissements en infrastructure sont prévus en préparation de la Coupe du monde de football de 2030 co-organisée par le Maroc, l’Espagne le Portugal. La France s’est déclarée prête à apporter sa contribution, y compris sous la forme de financement pour renforcer l’investissement dans les infrastructures de mobilité propre, notamment ferroviaires.
Conclusion
Longtemps empreintes d’un esprit d’amitié et de partenariat, les relations bilatérales franco-marocaines ont été prises dans une dynamique délétère durant les dernières années à la suite de plusieurs incidents et événements fâcheux.
Si les prémices du réchauffement des relations bilatérales ont commencé à se profiler depuis la tenue des assemblées de la Banque mondiale et du FMI à Marrakech en octobre 2023, la diplomatie a ouvert la voie du partenariat économique depuis la visite du ministre des Affaires étrangères français à Rabat en février 2024.
Compte tenu de la reconfiguration des relations économiques du Maroc marquée par une politique de diversification des partenaires et d’affirmation régionale, les deux pays devraient consolider leurs complémentarités économiques et réinventer leurs relations bilatérales dans un esprit gagnant-gagnant en tenant compte des nouveaux défis aux niveaux national, régional et international.