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L’industrie aéronautique au Maroc, entre essor, ambition et innovation

Published On: juillet 2023
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Mot de l’experte :

« Le marché de l’aéronautique dans le monde est estimé à 9000 Milliards de dollars sur les 10 prochaines années. Avec seulement un peu plus de 10% de la population qui a déjà pris l’avion, les opportunités de croissance sont quasiment inépuisables. Les marchés émergents, asiatiques principalement, ont tiré la croissance mondiale avec une moyenne annuelle de plus de 5%, amenant les cadences mensuelles de fabrication de 30 avions en 2010 à 71 aujourd’hui. Secteur fortement résilient aux crises, avec une visibilité de commandes contractuelles sur 7 ans en moyenne, les industriels de la filière sont actuellement en surcapacité, peinant à répondre au rythme de production exigé par les constructeurs. D’autant plus que le contexte de reprise post-covid, qui a révélé l’indisponibilité des ressources dans les métiers de fabrication, a rendu la Supply Chain européenne et nord-américaine encore plus tendue.

Plus que jamais, la rareté des ressources et la décarbonation positionnent davantage le Maroc comme base idéale de développement aéronautique. Située à seulement 2 jours de Toulouse et connectée aux hubs aéronautiques mondiaux, cette proximité décarbone d’autant plus la destination marocaine. Sans compter sur la révolution technologique que vit le secteur avec l’avion zéro-émission envisagé pour 2050, où l’hydrogène est au cœur du moteur. Cela tombe parfaitement avec l’ambition du Maroc dans ce domaine, qui à terme deviendra un hub incontournable de l’aviation et de la construction aéronautique.

Le niveau de maturité acquis depuis plus de 20 ans d’existence de l’écosystème permet au Maroc d’attirer de nouveaux métiers à plus haute valeur ajoutée, depuis des marchés plus diversifiés (Etats-Unis, Canada).
Le défi du Maroc est de pouvoir attirer les capitaux marocains dans ce secteur, où les entreprises à capitaux marocains se comptent sur une poignée de main. »

Mme Maria Filali, Directeur général, GIMAS – Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales

Le secteur aéronautique à l’international

Le secteur aéronautique à l’échelle mondiale a subi une évolution significative suite à l’impact du COVID-19 sur le trafic mondial régulier de passagers en 2020. Par rapport aux niveaux de 2019, il y a eu une réduction globale de 50% des sièges offerts par les compagnies aériennes, ainsi qu’une réduction globale de 2703 millions de passagers (-60%). Les compagnies aériennes ont également subi une perte de recettes brutes d’exploitation des passagers d’environ 372 milliards de dollars.

Sur la période 2020-2021, les résultats ont montré que le trafic mondial total de passagers a été réduit de 49% soit une réduction globale de 2 201 millions de passagers. Les compagnies aériennes ont subi une perte de 324 milliards de dollars de recettes brutes d’exploitation des passagers. Ces chiffres témoignent de manière évidente de l’impact considérable de la pandémie sur l’industrie aéronautique à travers le monde.

Figure 1 : Evolutions du secteur à l’échelle internationale

Les effets des mesures restrictives adoptées pour lutter contre la pandémie de COVID-19 continuent encore de se faire ressentir sur le secteur. Les résultats estimés pour l’année 2022, par rapport aux niveaux de 2019, montrent une réduction globale de 25% à 26% des sièges offerts par les compagnies aériennes, ainsi qu’une réduction globale de 1 278 à 1 281 millions de passagers, soit une baisse de 29%. Les compagnies aériennes ont également subi une perte de recettes brutes d’exploitation des passagers d’environ 174 à 175 milliards de dollars. Ces chiffres reflètent clairement la rupture importante que la pandémie a causée dans l’industrie aéronautique, et les défis continus auxquels le secteur doit faire face pour se rétablir.

Figure 2 : Impacts du COVID-19 sur l’aviation civile

Un secteur qui continue d’évoluer

Les tendances de la demande mondiale : une production décarbonnée

L’édition 2022 des Global Market Forecast (GMF) d’Airbus révèle une demande prévue d’environ 39 490 nouveaux avions passagers et cargo d’ici 2041, soit 470 avions de plus que les prévisions de 2021.

Parmi les livraisons de nouveaux avions, 40%, soit 15 440 avions, devraient remplacer la flotte existante, tandis que plus de 24 000 avions stimuleront la croissance du secteur de l’aviation commerciale. Aujourd’hui, seulement 20% de la flotte actuelle en service est composée d’avions économes en carburant de dernière génération. Les nouveaux avions contribueront à la priorité à court terme de décarbonation de l’industrie aéronautique en remplaçant les 80% restants des flottes de la génération précédente.

Selon la même source, les compagnies aériennes africaines auront besoin d’acquérir 1.230 avions d’ici à 2040. Par ailleurs, les besoins en maintenance aéronautique sur le continent, domaine dans lequel le Maroc compte parmi les 3 pays les plus avancés d’Afrique, vont être démultipliés nécessitant le recrutement de plus de 16.000 techniciens dans les 20 prochaines années.

Figure 3 : Besoins prévisionnels d’acquisition d’avions

INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE ET SPATIALE AU MAROC

Malgré les défis économiques et opérationnels sans précédent causés par la pandémie, l’industrie aéronautique marocaine a su préserver son dynamisme. En effet, le secteur a fait preuve d’une remarquable résilience en poursuivant ses activités et en réalisant des opérations majeures telles que le rachat de Bombardier par Spirit Aerosystems, l’extension de l’usine et l’inauguration d’un nouveau site de production LPF pour les pièces de réacteurs. De plus, l’accord conclu entre SABCA et Pilatus pour la fabrication des aérostructures de l’aéronef PC-12 illustre l’engagement continu des opérateurs de l’industrie aéronautique marocaine dans le développement de nouveaux partenariats stratégiques.

L’histoire de l’Industrie Aéronautique Marocaine remonte aux années 50 avec une expertise en cours de développement dans le domaine de la maintenance des avions pour l’aviation civile et militaire.

Figure 4 : Historique de l’industrie aéronautique au Maroc

Positionnement du Maroc dans la chaine de valeur aéronautique

Le secteur de l’aéronautique au Maroc est un secteur d’une grande valeur ajoutée. Selon les données du Ministère de l’industrie, le secteur emploie plus de 2000 personnes, dont 37% de femmes, dans 142 entreprises. Son taux d’intégration dépasse les 40% et réalise une croissance annuelle qui a atteint 17% durant la période 2017-2020 et un chiffre d’affaires de 20 milliards de DHS.

Figure 5 : Taux d’intégration par écosystème de l’industrie aéronautique

Acteurs du secteur

Le développement d’un écosystème industriel dans le secteur aéronautique a été désigné comme le fruit d’un effort de collaboration entre le Gouvernement Marocain et Le Groupement des Industries Marocaines Aéronautiques et Spatiales (GIMAS) dans les domaines suivants :

Les écosystèmes aéronautiques concernent les filières de l’Assemblage, du Système électrique-câblage et harnais (EWIS), de l’Entretien-réparation & révision (MRO) et de l’Ingénierie.

Écosystème Airbus

« Depuis plus de 50 ans, Airbus est un partenaire industriel stratégique du Maroc, notamment grâce à sa filiale Stelia Aerospace. Airbus a initié l’écosystème aérospatial, soutenu des milliers d’emplois qualifiés et génère des recettes importantes à l’export 1 . »

Au Maroc, Airbus opère via deux filiales dans l’écosystème aéronautique. Il s’agit de deux usines basées à Casablanca avec des activités complémentaires (composites pour Stelia et assemblage de panneaux, voire usinage de profilés, pour Acam).

Le site de Stelia s’étend sur 25.000 m2 dont 16.500 m2 pour la partie usine. Un investissement global de 60 millions d’euros et un millier d’emplois directs. Airbus revendique aussi la création de 5.000 emplois sur le parc industriel et via son écosystème. Sur l’ensemble du Maroc, le groupe a pu créer quelque 10.000 emplois à travers le tissu de la sous-traitance. D’après les estimations du groupe, 300 à 500 millions d’euros sont générés par l’ensemble de ses activités annuelles dans la chaîne logistique.

L’écosystème Airbus compte des opérateurs comme Lisi Aerospace, Cetim, Safran, Hexcel, Daher, Altran, Diehl…

Écosystème Boeing

Une convention signée en 2016 dont l’objectif est de créer son propre écosystème industriel au Maroc en développant sa plateforme sourcing. Le Maroc et Boeing partagent des objectifs communs en matière de création d’emplois 8700 postes et de richesse 1Md EUR d’impact économique d’ici 2028. Suite au protocole, 9 fournisseurs, directs ou indirects ont rejoint l’écosystème dont HUTCHINSON et TDM AEROSPACE.

Écosystème Approvisionnements

Un protocole d’accord a été signé, le 18 juillet 2022, entre le ministre de l’Industrie et du commerce, Ryad Mezzour et le Vice- Président Chaîne d’approvisionnement de Collins Aerospace, Kristopher Pinnow au Salon aéronautique de Farnborough. Cet accord, qui s’inscrit dans le cadre du développement de projets locomotives aéronautiques visant à renforcer la compétitivité du secteur, a pour objectif de créer au Maroc un écosystème d’approvisionnement Collins, filiale du leader américain Raytheon Technologies.

Écosystème Spirit Aerosystems

Spirit AeroSystems, a organisé le 27 juin 2022 un événement de célébration pour lancer officiellement la production des composants de fuselage sur son site d’Afrique du Nord. Le site marocain de Spirit a commencé récemment à produire les composants du fuselage, la section avant et arrière de l’avion Airbus A220. Le site a développé une expertise dans la fabrication de composants pour les jets d’affaires de Bombardier et a rejoint maintenant les sites de Spirit qui fournissent déjà des programmes commerciaux d’Airbus.

OFFRES SPÉCIFIQUES AU SECTEUR

Incitations gouvernementales à l’investissement

En plus des exonérations fiscales octroyées en vertu du droit commun, la loi marocaine prévoit des avantages spécifiques de nature financière, fiscale et douanière aux investisseurs dans le cadre d’accords ou contrats d’investissement à conclure avec l’État, à condition, bien sûr, qu’ils remplissent les critères requis. L’évolution du secteur a également été encouragée par la création d’une zone industrielle dédiée, l’Aéropole et de la zone franche MIDPARC Casablanca.

Incitations financières :

  • Le Fonds Hassan II permet un accès au financement avec un plafond de 15% du montant total de l’investissement, limité à 3 millions d’euros. Ce financement peut couvrir jusqu’à 30% du coût du bâtiment, sur une base maximale de 200 euros hors taxes par mètre carré, ainsi que 15% de l’acquisition de biens d’équipement neufs, entre autres.
  • Le fonds dédié aux écosystèmes offre un soutien supplémentaire, sous forme de primes incitatives à l’investissement, de primes pour l’intégration locale et d’appui aux métiers clés. Ce soutien peut atteindre jusqu’à 30% du montant total de l’investissement.

Incitations fiscales :

  • Les entreprises dans les zones d’accélération industrielle sont exemptées d’impôt sur le chiffre d’affaires à l’exportation pendant 5 ans, puis paient un taux fixe de 15%.
  • Les entreprises exportatrices sont imposées selon un barème progressif, avec un taux de 20% pour les bénéfices supérieurs à 100 000 € à partir de 2020.
  • Les investissements de plus de 20 millions d’euros bénéficient d’une exonération des droits d’importation pour les équipements.
  • La TVA à l’importation est également exempte pour les équipements, pièces détachées et accessoires importés avec des projets d’investissement de plus de 20 millions d’euros.
Recherche et Formation professionnelle

Le Royaume a réussi à mettre en place une matrice de formation professionnelle produisant des ouvriers et techniciens conformes aux normes internationales, ce qui a renforcé l’attrait de l’industrie nationale. Cependant, pour améliorer davantage le niveau et la valeur ajoutée de l’industrie existante, il est essentiel de disposer de compétences en ingénierie, recherche et développement, innovation, technologies avancées, ainsi qu’en gestion, communication et ressources humaines.

  • La création de l’Institut des Métiers de l’Aéronautique (IMA) a joué un rôle crucial dans le développement de l’industrie aérospatiale au Maroc en offrant des formations sur mesure adaptées aux besoins des entreprises. L’IMA, dirigé par le GIMAS, est un centre d’excellence qui propose des formations de qualité préalables à l’embauche pour les différents métiers de l’aéronautique.
  • La création de l’ Aerospace Moroccan Cluster (AMC) vise à encourager la recherche et le développement dans le secteur aéronautique au Maroc en favorisant la collaboration entre les établissements d’enseignement, les centres de recherche, les instituts et les acteurs industriels. Son objectif est de répondre aux besoins de la chaîne d’approvisionnement marocaine et de maintenir le niveau élevé de compétences.
Performances du secteur post-Covid

Le secteur de l’industrie aéronautique semble avoir dépassé la crise. Selon l’Office des changes, le chiffre d’affaires à l’export, à fin septembre 2022, a atteint 16,1 milliards de dirhams, soit une hausse de 53,3% par rapport à la même période un an auparavant. En 2019, année de référence pré-Covid, les ventes avaient atteint 17,4 milliards de dirhams.

Lors de la 6ème édition de l’ Aerospace Meeting Casablanca, le ministère de l’industrie et les opérateurs aéronautiques ont confirmé la reprise d’activité du secteur et annoncé l’amorce d’une nouvelle phase de développement.

Figure 6 : Performances du secteur aéronautique marocain avant la pandémie

Enjeux de décarbonation et de digitalisation du système

L’écosystème compte mettre l’accent sur la mise en place effective de la décarbonation de son outil industriel, pour répondre aux standards adoptés en la matière par les principaux marchés cibles à l’image de l’Union Européenne. Autre objectif en vue pour les professionnels, le passage vers l’industrie 4.0, une fois la montée en régime annoncée du capital humain achevée.

Dans le cadre de l’ A220, plusieurs centaines des pièces de l’avion sont produites au Maroc. Ce nouvel avion, avec 25% d’émission de CO2 en moins que les avions de la génération précédente et des émissions de NOx 50% inférieur aux standards, s’affirme comme le plus performant de sa catégorie au niveau environnemental. L’ Airbus A220 a été présenté par l’entreprise à l’occasion d’un moment d’échange qu’elle a organisé avec l’ensemble de l’écosystème aérospatial marocain en décembre 2022 à Casablanca.

Conclusion

L’industrie aéronautique au Maroc est en pleine expansion depuis une vingtaine d’années, avec des entreprises internationales telles que Bombardier, Airbus, Boeing, Safran et bien d’autres qui ont établi des usines dans le pays. Cette expansion est en partie due au Plan d’Accélération Industrielle qui vise à attirer les investissements étrangers et à développer les secteurs d’exportation afin de stimuler la croissance économique du pays.

La stratégie Made in Morocco a permis au Maroc de devenir un acteur majeur de la chaîne d’approvisionnement aéronautique mondiale. En effet, toutes les grandes entreprises aéronautiques du monde entier utilisent des pièces fabriquées au Maroc, ce qui témoigne de la qualité du travail accompli dans les usines marocaines. Aujourd’hui, tous les avions qui circulent dans le monde ont au moins une pièce fabriquée au Maroc, ce qui témoigne de la réussite de la stratégie Made in Morocco et de la compétitivité de l’industrie aéronautique marocaine sur la scène internationale.

Le pays dispose également d’un important bassin de main-d’œuvre qualifiée, grâce à une matrice de formation professionnelle capable de produire des ouvriers et des techniciens répondant aux standards internationaux. Cette main-d’œuvre qualifiée, combinée à des avantages fiscaux et à une stabilité politique, a contribué à faire du Maroc une destination attrayante pour les investissements dans l’industrie aéronautique.

L’industrie aéronautique au Maroc est également confrontée à l’enjeu majeur de la transition écologique. Les émissions de CO2 du transport aérien sont une préoccupation environnementale mondiale et l’industrie doit répondre à cet enjeu.

Le Maroc a ainsi pris des mesures pour encourager la recherche et l’innovation dans les technologies respectueuses de l’environnement. Par exemple, la production de biocarburants pour les avions est une piste de recherche prometteuse pour réduire l’impact environnemental du transport aérien.

Ainsi, les perspectives de l’industrie aéronautique au Maroc sont fortement liées à la prise en compte des enjeux environnementaux. En intégrant la transition écologique dans ses stratégies de développement, le Maroc peut non seulement se positionner comme un acteur majeur de l’industrie aéronautique, mais aussi contribuer à un avenir plus durable pour le transport aérien dans le monde.

Published On: juillet 2023
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