Exploration des opportunités d’investissement entre le Maroc et l’Arabie Saoudite
Introduction
Dans un contexte international marqué par l’émergence denouveaux pôles de croissance et la montée en puissance deséchanges “Sud–Sud”, le partenariat entre le Maroc et l’ArabieSaoudite apparaît comme un levier stratégique à fort potentiel.Tous deux engagés dans des dynamiques ambitieuses dediversification économique, les deux Royaumes œuvrent aupositionnement de leurs économies dans les chaînes de valeurmondiales et régionales
Ce partenariat s’inscrit dans une logique de coopérationstratégique entre deux puissances régionales montantes : leMaroc, acteur pivot du continent africain et l’Arabie Saoudite,membre du G20, dont l’influence économique s’affirme de plusen plus à l’échelle mondiale.
Les essors économiques parallèles des deux pays et leurvolonté de renforcer leur présence en Afrique créent unterrain particulièrement propice à l’approfondissement deleur coopération bilatérale. Cette convergence de trajectoiresconfère à leur partenariat une portée géostratégique renouvelée.
Héritier d’une coopération politique étroite depuis les années1950, portée au plus haut niveau des deux États, la relation entreles deux Royaumes s’est progressivement étendue au champéconomique, avec des investissements croissants, un dialogueinstitutionnel renforcé et des passerelles inter-entreprisesplus structurées. Dans ce cadre, la relation bilatérale s’orientedésormais vers une coopération à haute intensité sectorielle,appuyée sur des instruments institutionnels modernisés et dessynergies industrielles en cours de construction.
Les relations entre le Maroc et l’Arabie Saoudite reposent surune base diplomatique ancienne, officialisée en 1957, peu aprèsl’indépendance du Royaume du Maroc.
Une avancée significative s’opère en 2011-2012, lorsque leConseil de Coopération du Golfe (CCG) et le Maroc conviennentd’un partenariat stratégique renforcé.
Les financements issus de ce partenariat ont permis decofinancer plusieurs projets structurants au Maroc, notammentdans les domaines des infrastructures (réseaux autoroutiers,ports, hôpitaux universitaires, barrages) et du développementagricole, traduisant une convergence accrue des priorités dedéveloppement.
Depuis, la relation bilatérale a renforcé sa dimension économique,structurée autour d’instruments institutionnels pérennes. Desdispositifs de gouvernance conjointe ont été mis en place,reflétant une volonté commune de consolider un cadre decoopération pragmatique, en phase avec les transformationséconomiques régionales et les stratégies de diversificationnationale des deux pays.
Les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Arabie Saoudite
Selon les données du Rapport sur le Commerce Extérieur2024 publié par l’Office des Changes du Maroc, les échangesbilatéraux montrent par exemple qu’en 2024, le volume desimportations marocaines en provenance d’Arabie Saoudites’est élevé à 24,818 milliards de dirhams, représentant 3,3% del’ensemble des importations marocaines en provenance d’Asie.Ce chiffre marque une augmentation de 4,7% par rapport à 2023(soit une augmentation de 1,116 milliards de dirhams).
Parallèlement, les exportations marocaines vers l’Arabie Saouditeont connu une progression significative, atteignant 1,14 milliard de dirhams en 2024, contre 984 millions un an plus tôt, soit unehausse de 16,4%. Elles représentent 0,3 % de l’ensemble desexportations marocaines à destination de l’Asie.
Le solde commercial reste déficitaire pour le Maroc, avecun déséquilibre avoisinant 23,7 milliards de dirhams (24,818milliards de dirhams d’importations contre 1,145 milliardsde dirhams d’exportations). Ce déficit structurel reflète unerelation principalement importatrice, fortement axée sur desproduits à forte intensité énergétique et issus des industriesde transformation, tels que le pétrole raffiné, l’ammoniaque, lesoufre, ainsi que divers polymères et plastiques industriels.
Ces données confirment l’importance stratégique de l’ArabieSaoudite dans l’approvisionnement énergétique du Maroc. Dansun contexte de partenariat renforcé entre les deux pays, cettesituation offre des opportunités concrètes pour équilibrer etdiversifier les échanges bilatéraux.
Acteurs saoudiens de l’investissement
Le Royaume d’Arabie Saoudite a mis en place une Vision 2030qui constitue un cadre stratégique de développement desinvestissements saoudiens.Dans ce cadre, plusieurs institutions jouent un rôle clé pour lamise en œuvre de cette Vision 2030 et constituent de ce fait desoutils potentiels intéressants pour les opérateurs économiquesmarocains désireux d’approfondir des partenariats structurantsavec l’Arabie Saoudite.
• Le Public Investment Fund (PIF) s’impose comme le principallevier de transformation économique du pays (913 milliards dedollars américains en actifs sous gestion à fin 2024). Organiséen pôles spécialisés, il oriente les flux de capitaux vers dessecteurs à fort impact, tout en créant un cadre structurant pourles partenariats internationaux.
• Le Saudi Equity Holdings (SEH) regroupe les participationsdu PIF dans une quinzaine d’entreprises cotées en ArabieSaoudite et dans la région MENA, pour une capitalisationcombinée de plus de 1100 milliards de riyals saoudiens, soit36 % des actifs du Fonds. Ce portefeuille accompagne l’essord’un secteur privé national compétitif, capable d’innovationet d’internationalisation, tout en renforçant la profondeur desmarchés financiers saoudiens.
• Le Saudi Sector Development (SSD) représente 30 % des actifsdu PIF. Il agit comme catalyseur de la diversification industrielle,avec plus de 100 entreprises dans des domaines clés tels quel’énergie, la robotique, la mobilité ou les services pétroliers.En 2024, il a connu une croissance de 10 %, portée par desprojets comme celui d’ACWA Power (15 milliards de riyalssaoudiens pour deux centrales électriques) ou l’implantationd’une usine de robotique intelligente par Alat, après sa prisede participation dans Lenovo. Le SSD favorise la montée engamme des chaînes de valeur locales, l’attraction d’IDE et lacréation d’emplois qualifiés.
• Le Saudi Real Estate and Infrastructure Development Pool(SREID), qui représente environ 7 % du portefeuille du PIF (239milliards de riyals saoudiens), soutient la transformation dutissu urbain et logistique. Il finance des projets structurants telsque le réaménagement du centre-ville de Djeddah (JCDC), leméga-projet New Murabba à Riyad, ou encore l’extension del’offre hôtelière avec Adeera. D’autres investissements portentsur la modernisation du rail, les infrastructures numériques etles pôles touristiques émergents comme Soudah.
• Les Giga-Projects constituent l’un des volets les plus visiblesde la stratégie saoudienne. Ces projets de très grande échellevisent à créer de nouveaux centres urbains, économiqueset culturels. NEOM, projet phare, intègre ville intelligente,industrie verte et mobilité avancée. Red Sea Global développeune offre touristique durable haut de gamme. D’autres projetsd’envergure, tels que Diriyah, Qiddiya ou ROSHN, illustrentégalement cette ambition de transformation profonde duterritoire.
• Enfin, le International Strategic Investments Pool (ISI) reflètel’ambition mondiale du PIF. Ce portefeuille regroupe desparticipations dans des entreprises jugées stratégiquesà l’échelle internationale, comme Lucid Motors (mobilitéélectrique), Heathrow Airport (transport aérien), ou Hapag-Lloyd(logistique maritime). Il couvre également les secteurs du sportet du divertissement avec des investissements dans LIV Golf ouNewcastle United. Le PIF mène en parallèle des programmes deco-investissement avec de grands partenaires institutionnels telsque Blackstone, SoftBank ou AccorInvest. Ce dispositif soutientl’internationalisation des entreprises saoudiennes.

Dans cette dynamique, quatre axes sectoriels structurentl’investissement saoudien sur le continent africain :
• Le premier concerne la sécurité alimentaire, un enjeustratégique pour l’Arabie Saoudite dont à peine 2 % du territoireest cultivable. En 2025, SALIC, la filiale agricole du PIF, a acquis80 % du capital du groupe Olam Agri, un acteur majeur del’agro-industrie en Afrique de l’Ouest, pour un montant de 1,8milliard de dollars.
• Le second pilier est celui des minéraux critiques, indispensablesà la transition énergétique mondiale. En Zambie, la co-entreprise Manara Minerals6, créée par Ma’aden et le PIF,est entrée en négociation avancée pour acquérir une partsignificative dans les actifs cuivre et nickel du groupe FirstQuantum Minerals, pour une valorisation comprise entre 1,5 et2 milliards de dollars américains.
• Le troisième axe est celui des énergies renouvelables. Portéepar l’entreprise ACWA Power (par ailleurs présente au Maroc),bras opérationnel de la Vision 2030 dans ce domaine, l’ArabieSaoudite est l’un des principaux investisseurs privés dans lesénergies renouvelables en Afrique, avec plus de 7 milliards dedollars engagés.En 2024, ACWA Power a confirmé la pleine mise en servicede la centrale solaire Redstone7 en Afrique du Sud (100 MW),ainsi que de la centrale de Kom Ombo8 en Égypte (200 MW).L’entreprise pilote également le projet DAO, présenté commela plus grande centrale hybride d’Afrique du Sud, mobilisant uninvestissement de 800 millions de dollars.
• Enfin, la logistique et la connectivité régionales représententun quatrième domaine prioritaire. En signant un protocoled’accord avec l’Africa Finance Corporation, l’Arabie Saouditeentend cofinancer des infrastructures portuaires, logistiques etindustrielles à l’échelle du continent, en renforçant les corridorsSud–Sud.
Des secteurs à fort potentiel pour une coopération stratégique
Dans ce contexte de développement des relations économiquesde l’Arabie Saoudite avec le continent africain, le Maroc s’affirmecomme un partenaire naturel de convergence dans cettestratégie africaine. Plusieurs initiatives récentes traduisentcette dynamique, à l’exemple de la visite, en juin 2025, d’unedélégation économique saoudienne à Rabat, conduite par HassanMoejeb Al-Huwaizi, président de la Fédération des Chambresde commerce, et composée d’une vingtaine d’entreprises enprospection active. Cette mission illustre la volonté partagée destructurer des partenariats durables, inscrits dans une logique decoopération Sud–Sud.
Parmi les filières identifiées, l’agro-industrie figure parmi lesdomaines ayant suscité un intérêt marqué. L’enjeu de souverainetéalimentaire, prioritaire pour Riyad, résonne avec les atoutsmarocains en matière d’agro transformation, de certification etde logistique export. Produits de la mer, fruits transformés ouconserves figurent parmi les segments ciblés pour sécuriser leschaînes régionales.
Les secteurs de la chimie, de la plasturgie et des industriesmécaniques suscitent également un vif intérêt. Le Maroc, avecses zones industrielles spécialisées et ses dispositifs d’incitation,offre un environnement favorable au co-investissement, à larelocalisation productive et au transfert de savoir-faire, en phaseavec les objectifs de diversification de l’économie saoudienne.
La convergence est tout aussi forte dans les énergiesrenouvelables. Déjà actif au Maroc, ACWA Power a été sélectionnéen 2025 pour développer les centrales hybrides Noor Midelt IIet III (400 MWc chacune). D’autres segments liés à la transitionverte, comme l’ammoniaque renouvelable ou le stockage del’énergie, font l’objet de discussions avancées.
Sur le plan logistique, le port de Tanger Med a récemment étéintégré à un réseau élargi de lignes maritimes reliant plusieursports saoudiens, dont Jeddah, Dammam et Jubail9. Ces nouvellesconnexions, opérées par Maersk et Hapag-Lloyd, visent àrenforcer la fluidité des échanges commerciaux et à accroître lacapacité d’exportation. Le port de Jeddah, choisi comme centreopérationnel de cette alliance, confirme ainsi son rôle croissantdans l’architecture logistique mondiale, tandis que Tanger Meds’affirme comme une plateforme clé dans les corridors Sud–Sud.
Enfin, la coopération se dessine aussi autour de la digitalisationindustrielle. L’intégration du numérique, de l’automatisation et destechnologies intelligentes dans les chaînes de production ouvrela voie à des projets conjoints à forte intensité technologique.
Ce rapprochement sectoriel s’appuie sur un cadre institutionnelen cours de consolidation : relance du Conseil d’affaires bilatéral,coordination AMDIE–MISA, mobilisation des fonds souverainscomme le PIF. Des instruments de soutien (lignes de crédit,garanties, incitations croisées) sont en cours de structurationpour accompagner cette dynamique.
Conclusion
Ce partenariat économique renforcé entre le Maroc et l’ArabieSaoudite s’inscrit dans une redéfinition plus large des équilibresrégionaux, marquée par une montée en puissance desdynamiques Sud–Sud et une volonté croissante des puissancesémergentes d’articuler leurs trajectoires de développementautour de partenariats stratégiques. Dans ce contexte, lescomplémentarités entre les deux Royaumes – en termes depositionnement géopolitique, d’agendas économiques, et decapacités institutionnelles – offrent une base cohérente pour unecoopération structurée à moyen et long terme.
Si des écarts subsistent encore sur le plan commercial ou sectoriel,les récentes évolutions témoignent d’un alignement progressifdes priorités économiques, soutenu par des instrumentspublics et des dispositifs de coordination bilatéraux en cours deconsolidation. La logique est bien celle d’un partenariat fondé surla projection conjointe, l’investissement croisé et la recherche desynergies dans des secteurs porteurs.
À l’heure où l’Afrique, le Golfe et la Méditerranée deviennentdes espaces d’interdépendance croissante, le cadre maroco-saoudien pourrait préfigurer une nouvelle génération de relationséconomiques interrégionales, plus équilibrées, plus intégrées, etdavantage en phase avec les exigences d’un ordre économiqueen mutation.


